lundi 29 septembre 2008

Le corps d'un professeur a une forme, sa présence en classe impose un certain état d'esprit à toute la classe. Nous sommes tournés vers lui, la somme de nos regards le plaque contre le tableau, nous réagissons instantanément, sur le moment à ses paroles, nous lui faisons prendre conscience de son incompétence comme de son humour, passons en revue son physique, peut-être le connaissons nous mieux que lui. On capte ses mimiques, les jours de rasage douloureux et de braguette ouverte, dénombre ses chemises et chaussures, remarque très vite quand il s'est fait coupé les cheveux : des choses en moins autour du visage, quelque chose que nous ne reconnaissons plus en lui, il est comme défigurer par l'absence d'une mèche et nous mettons un peu de temps à assimiler la nouvelle image, la méfiance règne jusqu'à la reprise des repères, d'une certaine forme de confiance totale que nous mettons en lui, en ce qu'il nous dit, en sa vérité qu'il fait régner : vous avez tort, votre question est judicieuse, taisez vous, parlez je vous en prie, pour demain vous finissez..., au revoir, à demain.

La meilleure façon d'être assidue en cours et de prendre plaisir à y aller et certainement celle de tomber amoureuse du prof, concernant Monsieur Delmas il n'y a plus aucun doute, je suis agrippée à son visage, j'imagine l'étreinte de son corps, j'entre en classe comme s'il s'agissait d'un rendez-vous galant, tout en jetant mon sac à dos sur la table du devant et en esquissant un "bonjour" insouciant. Quand je lève le doigt pour intervenir je m'oblige à enlever mes lunettes, cela me permet de le voir flou et ne pas avoir à supporter son regard bienveillant et magnifique posé sur moi et uniquement sur moi pendant que j'essaye de faire une phrase.
Du moment où il ouvre la porte au moment où il la referme pour aller fumer entre deux cours je retiens assez fidèlement tout ce qu'il dit. Je l'aime énormément, j'aime quand précipitamment mais de façon assez discrète il se jette sur son ordinateur portable pour enlever l'écran de veille, un petit geste de l'index sur le pavé numérique, précis.
J'aime quand à la fin du cours il nous dit à tous "merci de votre gentillesse et à demain", je n'aime pas quand les élèves lui parlent mal, beaucoup d'élèves se permettent des familiarités et des méchancetés, "mais vous nous l'avez déjà diiittt", "vous pouvez aller moins vite parce que là on comprend rien", certains tentent comme ils peuvent de faire ami-ami de façon assez médiocre, en évoquant maladroitement et de façon pédante un film en rapport avec notre programme, en essayant de poser des questions sur les relations entre lui et notre ancien prof d'histoire géo, ça me donne envie de vomir, il ne mérite pas ça. J'aime quand il parle de littérature américaine, quand nous avions eu une brève parenthèse en milieu de cours sur John Fante et qu'il m'avait dit "en tout cas lire John Fante quand on est une jeune enfant comme vous, moi je dis : RESPECT.", je me sentais devenir rouge sauce tomates, assez mal à l'aise mais extrêmement heureuse. Mes copines rigolaient trop, du genre "elle va succomber, tout ça est trop pour elle". Et c'était effectivement trop pour moi, et chaque jour c'est trop pour moi, je sors du cours et je suis vraiment triste, je ressens un vide et de la frustration, une crampe au coeur, un déchirement.
Samedi je suis allée au restaurant avec Cécilia, on parlait de beaucoup de choses, c'était surtout elle qui parlait, moi pas trop ou alors ça n'était pas très intéressant, les gens ne sont pas spécialement à mon écoute alors je sens que mes propos sont débiles ou convenus, bref je lui disais "nan mais Delmas je le kiffe parce que si j'avais été prof d'histoire géo je pense que je serai exactement comme lui" et je pense que c'est surtout ça, en lui je me reconnais, j'arrive à retrouver des miettes de moi, de mes comportements et de mes réactions qui en en dévoilant sur lui en dévoile autant sur moi, c'est presque de l'art, c'est presque comme lire un roman et tomber sur une phrase qui nous définirait totalement et que soudain la littérature avait sa fin, son accomplissement et que toute cette quête avait aboutit à cette phrase. Tout mes profs d'histoire géo ont abouti à Monsieur Delmas et ses petits yeux comme des boutons noirs cousus sur une poupée.

Quand la surveillante vient pour demander les absents et qu'il a oublié de faire l'appel il est très gêné, on le sent vulnérable, on a l'impression d'assister à une transformation de son visage que nous n'aurions pas dû voir.
Je n'ai jamais vu une personne aussi humaine, curieuse de chaque chose, véritablement penchée sur son monde, d'un humour imprévisible. Cette amour moite et adorateur déborde en moi comme déborderait une bassine pleine d'eau avec laquelle je devrais courir, impossible à contenir, et en plus il faut aller vite et chacune de mes interventions est cent fois répétée dans ma tête avant qu'il ne me donne la parole et que d'un ton placide -un travail d'orfèvre ce ton- tendu sur un fil, j'annonce mon objection, ma précision, mon petit savoir sur ce que je sais des cycles d'une économie libéraliste...
- libérale
aïe
je baisse les yeux sur mon cahier, honteuse
- ah pardon
- c'est pas grave" sur le ton de "je vous pardonne, cela est tout sauf grave, continuez", comme il l'avait fait sur ma copie, j'avais gratté un "j'ai pas eu le temps de finir", aussi petit que désolé, et à côté il y avait son "ce n'est pas grave", conciliant et plein de bonté. Avec Julie ça nous avait fait trop rigolé, du genre "premier dialogue entre Murielle et Delmas", d'ailleurs en me rendant ma copie il avait dit "Muriella" et tout le monde avait rigolé. Le prof qui se trompe en lisant le prénom de son élève qui l'adore,
- bah non mais moi je vois marqué un A
- ah, nan mais c'est un E, ça se voit, sourire amusé, c'est un E julie? c'est le plus beau E que j'ai jamais fait putain
- bon, en tout cas pardon Murielle
- nan mais c'est pas grave, sourire amusé

Il y a eu ça et il y a eu la fois où Amélie affirmait que des personnes avait une vraie vie sur internet et une autre "dans la vraie vie", et moi un peu pour moi et pour Julie j'avais dit "bah comme moi" et c'était déjà la fin du cours alors ça pouvait partir dans n'importe quelle direction, celui qui prend la parole après la sonnerie c'est celui qui a le droit à une sorte d'entretien chronométré avec le prof, ça peut même s'éterniser jusqu'à ce que le portail du lycée se referme et des choses dans le genre. C'est un temps très limité, qui ouvre beaucoup de brèches, de frustration, c'est le seul temps qui nous est imparti, le seul contact réel avec le prof, le seul qui reste légitime, raisonnable, après c'est trop, après personne ne veut et chacun doit d'un commun accord ne pas empiéter sur la vie du professeur comme de l'élève, ne confondons pas les mondes, restons sur nos limites, dans nos solitudes, malgré nos infinies ressemblances et nos sentiments, n'oublions pas que le but est qu'à la fin de cette année nous nous perdions de vue à jamais.

Bref Amélie disait ça et je répondais ça et Monsieur Delmas a alors dit "ah bon? mais vous faites quoi?" et moi d'un air qui voulait dire "oh rien d'important "oh des forums, des blogs" comme pour amoindrir l'aspect banal de ma réponse. Après la classe se vidait et je rangeais mes affaires au ralenti pour qu'il ait le temps de me trouver des questions, puis
- c'est quel genre de forum?
- le forum d'un magazine
- quel magazine? si c'est pas trop indiscret
- Technikart
- aaaah Technikaarrt, je le lisais avant, c'est pour les jeunes ça
- oh non plutôt pour les trentenaires de gauche (lol)
- et vous écrivez avec votre propre nom ou avec un pseudo?
- avec un pseudo, c'est "Vernis"
- Vernis?
- Vernis.

et soudain je me rendis compte du ridicule de mon pseudo, j'avais envie de me justifier, de justifier ce choix, de dire que bon, j'avais pris ça et on avait fini par m'identifier à ce mot alors je n'avais eu aucune raison de changer, après je lui aurais bien évidemment raconter ma vie dans son intégralité en insistant sur mon sentiment de faiblesse et d'incompréhension face au monde (oui, lol) pour qu'il ait envie de me protéger ou moins encore, de me frotter le dos.
Après c'est un peu le vide, je pense lui avoir dit "vous pouvez venir sur le forum si vous voulez" en rigolant faiblement, alors que deux sujets du forum parlait de lui. puis des rigolades dans les escaliers avec Julie, "t'as vuuu, c'est diiiiingue", "incroyable, nan mais incroyable"
Cette discussion me semblait bien évidemment surnaturelle mais je me suis habituée aux incroyables imprévues des circonstances, de ce qui fait qu'un questionnement intérieur se matérialise en question énoncée à voix haute et que tout n'est plus que jeu d'audace et de courage, d'occasion à saisir , de phrases qui auraient pu ne pas être prononcées mais qui vient pourtant s'insinuer au détour d'une seconde de silence et qui change totalement la façon que le professeur a de vous voir. M'avait-il seulement vu, distinguer du reste, lui qui déchiffrait "Muriella", à la façon d'un prénom un peu trop exotique à ses yeux et dont on ignore tout de la personne qui le porte.

The Magnetic Fields - Mr. Mistletoe

jeudi 25 septembre 2008

Aujourd'hui avec les filles on a mangé chinois, on avait encore trois heures de trou, on a trois heures de trou le mardi, le mercredi et le jeudi, le lundi on a deux heures, ça nous fait gaspiller plus d'argent que prévu tout ces trous et ça demande un peu d'organisation, il faut réfléchir la veille à ce qu'on s'apprête à faire le lendemain pendant ces 3 heures, si on va manger ensemble, si on va au cinéma il faut trouver un film qui concorde avec ce temps libre, si on rentre chez nous, si on en profite pour faire nos devoirs, si on compte traîner, rendre un truc dans un magasin, bref, de l'organisation.
Ces trois heures de trou ce n'est pas vraiment du temps de repos, le vrai repos c'est quand la journée finit vraiment, et là on est plutôt dans l'attente du cours prochain, tuer le temps en attendant, alors on ne se sent pas tout à fait le droit de se reposer, de parler avec ce relâchement qui caractérise nos discussions du week-end. le week-end est un truc à part, il y a un état d'esprit pour le week-end.

en fait il fallait que je passe par l'ugc, la veille un évènement de grande importance s'est produit : j'ai perdu mon portefeuille après la séance d'Entre les murs.

>>>>>>>>>>>>>flashback>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
En fait, après la séance j'étais un peu excitée à cause du film, c'est souvent comme ça avec des films que j'aime, il faut que j'évacue quelque chose, que je parle à quelqu'un, que je danse, je sais pas, l'enthousiasme à la rencontre d'une bonne chose. donc j'étais partie acheter des livres pour évacuer. une fois dans la queue du virgin c'est bientôt mon tour alors je cherche mon portefeuille et je le trouve pas, je pose en catastrophe les livres et je repars à l'ugc, et bien sûr y'a toutes sortes d'enculés qui me barrent le passage sur les escalators. Là-bas la nana me laisse passer pour chercher, j'y vais, la salle est assez pleine, je ne fais que demander à une personne qui se situait approximativement vers mon ancienne place, le mec me dit non, il avait un piercing en forme de pique sur le pli du menton. après je repars, je suis trop timide et je déteste par dessus tout déranger les gens, je veux dire, tu vas au cinéma 1) pour voir le film, 2) pour être un peu tranquille, "laissez moi seul et silencieusement dans le noir que je réfléchisse à tout ça, ah tiens, on diffuse un truc sur l'écran, je pense que je vais regarder."
je reviens, ils ont déjà renouveler l'équipe devant l'entrée alors je demande à une autre nana s'ils ont pas trouvé un portefeuille, elle est plus coule et elle vient avec moi chercher dans la salle, à deux nous sommes plus fortes.
le problème c'est que la séance commence et au moment où on se dirigeait vers ma place le film commence, elle me dit qu'on doit sortir, j'imagine qu'elle n'a pas le droit de déranger les gens pendant la séance, ça me parait tellement respectable que je la suis. j'allais quand même pas faire de grands gestes devant l'écran "HE HO ARRETEZ TOUT BORDEL, j'ai perdu mon portefeuille, on va se concentrer deux minutes sur mon problème s'il vous plaît histoire de me soulager d'un poids et ensuite on pourra commencer la séance, soyez sympas les mecs, c'est presque rien, je vais juste demander à cette rangée-là et celle-ci aussi parce que j'hésite entre les deux, de se baisser histoire voir si y'a pas un portefeuille noir qui traînerait par terre, oui je pense qu'on va rallumer, le mec en haut, on peut rallumer?".
elle m'a dit que je pouvais revenir après la séance, je lui ai demandé si je pouvais revenir demain, elle me disait oui, elle aimait bien aussi dire "pas de problème, pas de problème, ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas", c'est ce que je voulais entendre, elle était assez professionnelle je trouve. je lui ai dit
"bon y'avait que 20 euros, ça va",

"oui mais c'est quand même 20 euros + rires"
haaan, elle était encore plus impliquée que moi.

dans le bus je fais la liste mentale des choses que j'aurai préféré perdre à la place de mon portefeuille

ma bouteille d'eau OUI
ma pochette avec mes trucs OUI sûrement
mon livre OUI
mon carnet à idées HORS DE QUESTION, ce n'est pas tellement remplaçable
mon écharpe (lol) NON

un portefeuille c'est peut-être essentiel mais pas irremplaçable, voilà ce que j'en dis, une carte de retrait, une carte UGC ça se refait, une carte d'identité aussi, ça met du temps, ça fait chier, mais ça se refait et en une semaine nous voilà reparti pour une nouvelle vie.
sur le trajet à pied j'ai besoin de me confier à quelqu'un alors j'appelle ma mère pour lui annoncer la nouvelle, elle chuchote, je comprends pas encore pourquoi "allo maman? tu m'entends? pourquoi tu chuchotes? j'ai perdu mon portefeuille au cinéma, tu m'entends? ALLO? bon, bon, de toute façon j'arrive, bon je te raconterai après, bye."
en fait c'était parce qu'elle était à ses cours d'anglais alors je lui en voulais pas mais quand même, je crois que quand ma mère est pas "à ma disposition" ça me fait un peu chier, ça m'irrite.


à la maison j'ai mangé des frites en réfléchissant et j'ai décidé de pas trop en parler sur le forum pour pas que ça me foute la poisse et que je finisse par ne pas le retrouver, je sais pas, maintenant je commence à être trop comme ça, à faire gaffe, je crois que ça marche. enfin au moins s'il m'arrive un truc je pourrais pas me dire "c'est à cause du mauvais oeil, j'aurai dû la fermer, j'aurai dû la fermer" et puis c'est un bon moyen de pas s'étendre sur ses réussites, de rester discret. Les libanais sont des dingues du "mauvais oeil" et en même temps ils te font un signe de croix à chaque fois qu'ils passent devant une église, pour moi les libanais ne sont pas religieux, ils sont juste excessivement superstitieux.
Ma mère m'a proposé qu'on aille voir avant la séance de 21h50 s'ils avaient pas retrouver le portefeuille, j'avais un peu la flemme mais on prendrait la voiture, ça irait relativement vite, il n'y aurait aucun contact avec le dehors, quelques rares déplacements et beaucoup d'escalators.
Après elle m'a dit "comme ça je prendrai deux packs de lait chez auchan pendant que toi tu demandes", en clair on allait faire les courses. On attendait l'ascenseur, je lui ai dit "bon, c'est bon j'irai demain" et je suis rentrée à la maison, ça sentait la dispute à plein nez, je me connais.
à 22h30 j'étais déjà dans mon lit, j'étais fatiguée et je lisais un peu, je me suis demandé si je survivrai jusqu'à demain comme ça, dans le doute et la crainte de ne pas le retrouver.

je suis allée sur internet pour voir les procédures à faire encasdeperteoudevol, il fallait raquer 100 francs pour la carte UGC, attendre 5 jours pour la carte weebzee. soudainement, je me suis sentie physiquement abattue. je m'imaginais passer le week-end sans aller au cinéma, dans ma chambre, à tailler toute la journée les crayons de mon pot à crayons.

Alors chez UGC, même espérance fragile et même appréhension que pour l'écharpe, le mec me demande mon nom et monte un ascenseur, avec les copines qui m'avaient dit
Cécilia : "bien fait, ça t'apprendras à aller au cinéma sans nous"
Julie : "bien fait, ça t'apprendras à sécher l'anglais"
on était toutes d'accord pour dire qu'on allait le retrouver mais qu'il n'y aurait plus l'argent.
Le mec, les yeux bleus tournés vers l'avenir, est venu avec un petit rectangle de cuir noir.
"merci beaucoup, merci beaucoup"
Tout y était, sauf bien sûr les 25 euros, (dans ma bouche j'avais arrondi la somme à 20 euros pour minimiser les réactions et peut-être finir par croire qu'il y avait vraiment 20 euros) ça me fait marrer parce que j'étais heureuse mais quand même, les gens sont de drôles de fils de pute, à leur place j'aurai eu du mal à dépenser le fric d'un malheureux.
Charlette m'a avancé pour le restaurant, elle m'a passé un billet de 20 euros et je pouvais m'acheter ce que je voulais avec. J'avais trop faim, mangé à 6h40 ça annule ce qu'on a ingurgité je trouve, c'est comme si on mangeait à 4 heures du matin, ça compte pas trop.
Je vois pas comment les gens font pour retenir ce qu'ils veulent commander, il faut retenir à la fois les noms et le nombre, ajoutez à ça les "s'il vous plait" et le bruit des gens autour. J'ai sorti mon carnet pour faire la liste, j'avais l'air trop trop trop conne mais ça va je le lisais pas non plus à la meuf, c'était comme pour faire un exposé devant la classe, il faut "s'adresser aux élèves".
j'ai pris 4 nems, 1 paté impérial (il porte bien son nom ce gros tas de graisse), deux samossas, des nouilles poulet/crevette, 4 boules de coco pour les copines. la meuf qui m'a servi et le mec qui a encaissé m'ont tout les deux fait la remarque comme quoi c'était beaucoup, j'ai dû leur expliquer un peu.
Charlette avait pas vu les oeufs dans son riz, elle aime pas du tout ça, c'est comme les gens qui détestent le ketchup, je me souviens d'une meuf qui chouinait quand on lui mettait du ketchup à côté de ses frites, chacun ses faiblesses j'ai envie de dire, perso j'ai que des points forts niveau bouffe, j'aime tout sauf les fruits de mer(de) à cause qu'ils ont l'air trop vivants, je suis pour le poisson pané, d'ailleurs je suis pour la panure en général. Donc comme j'aime tout je lui ai échangé mes nouilles qui ont la classe contre son riz aux oeufs, c'est après que je me suis rendue compte qu'il était pimenté à un truc qui ressemblait à du liquide vaisselle, je me suis dit "tant mieux, ça m'empêchera de trop manger".
De toute façon à chaque fois que je mange chinois c'est toujours la même chose, je me sens trop mal après, je me dégoûte, je gémis, je suis fatiguée, j'ai l'impression de mariner dans plein d'huiles différentes, je fais une petite dépression post-festin et je me promets à moi-même de ne pas manger ce soir. J'aurai voulu me planter une baguette au fond de la gorge pour pouvoir tout dégager. Il est maintenant 18h48 et pour l'instant je tiens.

En marchant vers les toilettes du Dôme il y avait plein de gens assis sur les marches, les fesses sur une marche, les pieds sur l'autre en-dessous, ils mordaient dans des sandwichs qu'ils tenaient comme des flûtes, avec les deux mains. Je les fixais avec insistance because j'avais pas mes lunettes alors je savais pas s'ils me remarquaient, en tout cas moi je les remarquais et c'était comme si je tombais amoureuse d'eux tous en même temps, de l'espèce d'insouciance de la quotidienneté qu'ils représentaient à mes yeux. On a décidé de faire un tour chez Toy'r'us, j'étais très fatiguée et je racontais absolument n'importe quoi aux nanas. Que j'aille dans un magasin de jouets ou une boutique d'armes je trouve toujours un moyen de me créer de nouvelles envies.
Vous saviez qu'une poupée Corolle coûtait 80€? Bordel.

Metronomy - On dancefloors
il y a un passage dans cette chanson avec une espèce de cri de violon ou de je sais pas quoi, je l'entends comme une plainte agressive et assez bouleversante.

lundi 22 septembre 2008




l'ordinateur portable combiné à la wifi fait qu'à chaque fois qu'on a envie de dire quelque chose, d'émettre une opinion, une pensée, un sentiment ou une information, on peut se débrouiller pour trouver un endroit où le communiquer et des personnes pour nous écouter. c'est rassurant

Myriam est rentrée d'un voyage d'un mois à new york. je bossais mon histoire, mes cheveux étaient encore mouillés, je ne savais pas s'il fallait que je fasse un effort de présentation. Tout les dimanches je fais un masque à mes cheveux, la crème sent bon, la texture est rigolote, c'est vraiment un plaisir, après je sais pas si ça marche vraiment mais j'ai besoin de plaisirs programmés comme des punaises sur ma semaine, des points précis où je sais que tout sera bien.
Elle est entrée, le roulement de sa valise, papa qui l'annonce, j'appréhendais un peu, il y a quelques jours j'avais fait un rêve où on s'entendait pas bien. Avec Emile on se l'imaginait revenir obèse ou je sais pas quoi, un changement. En fait elle avait pas changé, peut-être même qu'elle avait maigri, elle portait un nouveau jean, des nouvelles baskets reebok et une nouvelle montre casio, toute petite, je veux la même, en ce moment je porte une montre à mon frère, il me dépanne.
On s'est planté devant elle, Emile tenait ses exercices de français, mon père nous a dit "vous l'embrassez pas?" et j'ai répondu "nan mais on s'embrasse jamais avec Myriam", je crois qu'il l'a mal pris, il comprend pas encore bien comment on fonctionne, nous on trouve ça normal, jamais j'ai fait la bise à ma soeur, je veux dire, je suis pas folle.
C'était dur de reprendre les choses là où on les avait laissées, ça remonte à loin, jamais on a fait passer autant de temps. On est resté bien une heure dans l'entrée, elle vidait sa valise en parlant et moi j'étais debout et je faisais rien de précis, juste je l'écoutais et je répondais, à un moment elle a essayé de dire un truc à la hauteur de ce qu'elle éprouvait : "chui contente de vous voir...vous êtes marrants", dans notre famille les marques d'affection se résument à ça et tout le monde se porte bien. Elle a sorti un truc de sa valise, avant qu'elle ne parte je lui avais bien dit "me prends rien surtout, je veux rien, garde ton fric pour toi franchement", le truc c'était un t-shirt de Stewie Griffin, le truc que je cherche depuis longtemps, il est noir avec deux dessins de Stewie, l'une de profil et l'autre de face avec une légende comme quoi c'est le mec le plus dangereux du monde, etc, etc. J'étais contente, ça me suffisait. Mon père a eu une écharpe en cachemire, ma mère aussi, elle avait pas eu le temps de prendre du beurre de cacahuètes à Emile alors il a eu droit à un gros tube de M&M's et à un Toblerone géant, le genre de choses qu'on trouve qu'à l'aéroport et que ma mère n'a jamais voulu nous acheter. Pendant longtemps ça nous a été refusé et maintenant quand je suis dans une boutique duty free je les regarde comme si aujourd'hui encore pour une raison qui m'échappe je pouvais pas les acheter. Ca sert à ça d'être adulte, tu repasses sur les lieux de ton enfance et tu refais les choses en mieux parce que t'en as les moyens.

J'y avais pensé mais c'est vrai que je m'attendais pas à ça, Myriam qui rencontre trois garçons pendant les vacances, dont un où ça ressemblait de près à une relation sérieuse. Elle a dit "ça fait 20 ans que je suis ici et personne ne me regarde et en un mois là-bas...", elle m'a raconté un peu, il y avait un Danois qui était son voisin dans l'avion et qu'elle a recroisé par hasard dans Central Park puis un batteur d'un groupe de jazz qui est venu lui parler et puis un autre mais je m'en souviens plus. Dans ma tête c'était un peu comme dans un monde parallèle, un peu le Magicien d'Oz, la nana qui suit son chemin et qui y rencontre des personnages improbables. Je crois qu'elle a réussi a me communiquer l'ambiance dans laquelle tout ça s'est produit, une ambiance propice aux rencontres, de liberté, de total enrichissement, d'un enrichissement qui ne laisse la place à rien d'autres, elle a travaillé des semaines au Mcdo pour se faire de l'argent de poche et elle a dépenser sans compter, c'est à dire qu'elle a dépenser selon ses besoins, elle a pas trop fait de folie, vraiment rien, une paire de desert boots marrons comme celles que portait Baptiste (ces chaussures me font automatiquement penser à lui alors je peux pas ne pas le dire, ça doit bien avoir son importance), des Reebok, deux pantalons, une montre, des trucs pour ses copines, un fer à lisser parce que moi j'avais pris le nôtre au liban. Le reste pour la nourriture, les sorties, le théâtre, le cinéma, les musées, les comedy club, les transports, un mois comme ça, comme on veut que ce soit. Elle a dû vivre trop de choses, et notre truc à nous c'est de ne rien raconter, enfin de raconter mais que ce qu'on veut et un peu espacé dans le temps, à notre rythme, et on fait l'impasse sur les photos parce que c'est insupportable pour tout le monde. Si elle a envie de raconter des choses je l'écouterai jusqu'au bout et je ferai des blagues.

Maman avait fait une tarte aux pommes, j'en avais déjà fait disparaître plus de la moitié, nan vraiment, le reste, son poulet, ses pommes de terre, que tout le monde les prenne, mais sa tarte aux pommes je peux pas, c'est trop pour moi et je me sens bien qu'après l'avoir fini. Là j'avais réussi à en laisser un peu en me forçant à penser à ma soeur affamée et à ma mère qui m'aurait frappée avec sa tong. J'ai sorti des assiettes en parlant un peu d'Emile,

"ce con au petit déjeuner il a mangé des pâtes, tu sais que maintenant il veut devenir écrivain? Il écrit pendant les permanences et il vient me voir et il me demande si ça peut faire le début d'un livre. Il s'est acheté des pulls trop beaux chez Gap, Emile montre lui tes nouveaux pulls. Tu sais qu'on s'échange nos Converse? On fait la même pointure, c'est coul hein. Pendant les vacances il a pas arrêté de nous saouler avec le Japon et les sushis, mais vraiment tous les jours, c'est un malade, il pense qu'à bouffer, il dîne trois fois par jour."
Moi là j'ai pas mangé, un peu plus tôt j'avais déjà déjeuné toute seule, un gratin de choux fleurs et de pommes de terre, j'étais encore debout pendant qu'elle et Emile mangeaient du poulet et des pommes de terre, je la voyais découper le blanc de poulet, il avait l'air tendre et sensationnel mais je me suis dit "stop murielle". Maman avait très bien fait la maîtresse de maison, parfois, pour ne pas dire tout le temps, elle me fait penser aux ménagères américaines sur les photos qu'on peut voir dans les livres d'histoire et qui illustrent la société de consommation et tout ça, elle tient le gros poulet avec des serviettes pour pas se brûler, Norman Rockwell.

Je me battais pour qu'on me file le dernier carré de tarte aux pommes. Puis on a papoté et je lui ai montré mon nouveau PC, mon nouveau sac à dos et les nouveaux trucs qu'il y avait dans la chambre, elle faisait "waaw, waaw", ça lui faisait bizarre, sa chambre, ses affaires, alors c'est là où je vis le reste de l'année. Il n'y a qu'un lit qui est à elle sur cette terre et il est dans cette chambre alors tu m'étonnes que c'est important. J'avais pensé à lui faire la blague "alors là c'est ta chambre" et tout mais j'avais déjà fait la blague de genre nous présenter moi et Emile quand je l'ai vu dans l'entrée.
Elle regardait la télé puis elle s'est endormie, j'étais partie réviser l'histoire dans la salle à manger, quand mon père est rentré il est venu me dire de la couvrir, d'abord j'ai étalé un châle sur elle, mais il était trop petit alors j'ai pris le plaid qui était sur mon lit sous mes affaires, c'était la première fois que je la voyais un peu comme une femme, avec sa vie et ses talons, elle était vraiment blanche, ça fait un an qu'elle a pas bronzé et ça se voit, c'est un beau blanc. Je me souviens de mon dermato qui disait à ma mère "le soleil est responsable de 80% du vieillissement de la peau". Après le soir avec Emile on a mangé de la soupe aux oignons et de la viande, on a encore dit les mêmes choses comme la fois où on en avait mangé après There will be blood, à minuit, "on dirait du miel liquide", "nan on dirait de l'or", "la viande c'est plus bon que le caviar", "la cuisine ça doit se faire avec amour" il a dit, et ma mère est intervenue "la cuisine ça doit se faire dans une cuisine propre", "nan avec amour parce que bon tu peux cuisiner tout le temps mais si c'est pas fait avec amour", etc etc etc.

Après j'étais dans mon lit, sur les coups de minuit, j'avais la soupe aux oignons que j'ai toujours du mal à digérer, je portais un sweat en velours rose et je pensais un peu à mon bac, je sais pas bien pourquoi, j'étais un peu perdue, à ce niveau-là de ma vie je me sens un peu seule, je sentais que quelque chose devait arriver, une averse, un imprévu dans ma vie, ça fait longtemps qu'une crasse ne m'est pas tombée dessus, et là le coup du "je foire mon bac", je le sentais venir. Ce serait dur pour tout le monde autour de moi et ça finirait bien par m'atteindre aussi, déjà ce serait dur de l'annoncer sur mon blog et puis aussi aux gens que je connais, ils jugeraient et demanderaient des explications qu'ils ne sont pas en droit de réclamer. Je pense à des personnes précises qui s'en réjouiraient, comme la preuve indubitable que je suis une grosse conne.

Red Hot Chili Peppers - I could die for you
cette chanson c'est mes 11 ans, c'est aussi le premier album que j'ai acheté avec mon propre argent, il coûtait environ 23,75€, je pense que mon père m'avait avancé les 3€ et quelques, sinon je vois pas comment j'aurai fait pour me l'acheter.

vendredi 19 septembre 2008

emile m'a réveillée en chantant à travers la maison une histoire improvisée sur la vie d'un toutou qui mourrait, c'était il y a plus de 16 heures, alors je ne me souviens plus des paroles, ni du rythme, vraiment je ne m'en souviens plus.
j'ai approché mon lit du bureau, comme ça je peux aller sur l'ordi ou travailler sur le bureau depuis mon lit, je m'assois en tailleur au bord du lit et je suis en face du bureau et de mon personal computer. En faisant ça j'ai essayé de faire se joindre deux espaces essentiels, c'est confortable, une idée comme une autre qui arrange un peu la vie, par contre ça bloque mon tiroir à culottes.

ma mère voulait rentrer dans ma chambre, j'étais en train de m'étaler de la crème sur les épaules, les bras et les jambes, parce que je pèle énormément, comme si ma peau recrachait tout le soleil engrangé pendant les vacances, alors j'hydrate et parfois en cours, une dizaine de fois par jour, j'approche le bras de mon nez pour sentir les dernières effluves de crème hydratante, j'aime aussi glisser une main à l'intérieur de mon pull, sur mon épaule, pour sentir la chaleur qui s'en dégage, une chaleur un peu parfumée de gel douche quand je m'y prend tôt dans la journée, une chaleur féminine, quelque chose qui me réconcilie avec moi, avec mon corps, je pense pas être mon corps, je pense être mon écriture, et encore.

ma mère voulait rentrer dans ma chambre pour voir si ma soeur avait un gilet gris ou noir, j'ai enfilé une tenue descente et je lui ai ouvert la porte. je lui ai dit que moi j'en avais, j'ai deux gilets noirs, un h&m et un petit bateau, j'ai mis du temps à les lui trouver. dans les penderies certaines choses sont plus visibles que d'autres, des chemises sont mises en évidence, plus en avant que d'autres carrément écrasées et recluses au fond,
résultat
on ne les voit pas
on ne pense plus à elles
on ne les met plus
et par un hasard du rangement on les redécouvre et on les porte comme d'anciennes médailles, et ça les gens ne le savent pas. cette semaine j'ai dit à julie "dans la classe y'a personne qui sait que j'ai changé de pantalon à midi, y'a que moi qui le sait", elle a rigolé du genre "mais allez qu'est-ce que tu racontes", c'est pas la première fois que je pensais ça. on entreprend des modifications sur notre corps, elles nous paraissent importantes mais aux yeux des autres elles ne valent absolument rien, nous sommes nos propres centre du monde, chez les autres cette constatation me dégoûte et me déprime un peu, quant à moi j'essaye de faire autrement, d'aimer les autres autant que moi mais c'est dur parce que pour ça il faudrait que les gens se comportent parfaitement, d'une manière que j'estimerai parfaite et cohérente. je crois qu'il serait temps que je tombe amoureuse pour un peu moins me soucier de moi et de mes pantalons.

je marchais sur le trottoir, un trottoir à courbevoie, et je me disais que les trottoirs courbevoisiens n'avaient rien à envier aux trottoirs parisiens, le claquement de talons y est de la même qualité, la mélancolie tout aussi bonne, non vraiment on était bien. Paris a juste eu la chance d'être élue capitale.

septembre c'est incroyable, tout les jours je suis émue par tout, j'ai reçu un coup, quelque chose s'est passé, je suis devenue une peau sensible comme dans les pubs nivea, c'est pas possible, c'est pas possible, la tranquillité d'un cours m'émeut, le silence dans le bus je n'en parle même pas, j'ai vu un type galèrer à cause de son nez qui devait être en train de couler, ce n'est pas les soldes mais les femmes achètent des habits, elles aiment s'habiller, j'ai vu dans des vitrines "c'est beau! c'est nouveau! il vous le faut!" et aussi "poitrines généreuses et formidables", et sur des escalators "vêtements longs attention!", un petit est tombé et la chute a été encore plus brutale à cause de mon pied qui lui a fait comme un croche-patte, je n'ai pas tout de suite eu le réflexe de le relever, je ne sais pas pourquoi, je me suis dégoûtée, ensuite quand le bus s'est un peu vidé je me suis éloignée, j'ai soulevé mes cheveux pour poser ma nuque contre la vitre froide du bus, j'avais chaud.

mardi les copines sont venues déjeuner à la maison, on a mangé des biscuits apéritifs italiens, des spaghettis bolognaise, des cornets de glace et des yaourts, il y avait aussi un litre et demi de oasis mais du auchan à cause du pouvoir d'achat et aussi du coca. Charlette et Cécilia on regardé mes livres et mes cds pendant que je réchauffais les pâtes, c'était la première fois qu'on regardait mes trucs, moi je le fais chez les autres mais personne ne peut le faire chez moi, j'invite rarement des gens, je n'ai jamais été "tu dors chez moi/je dors chez toi", j'aime quand les gens restent à leur place, dormir chez les autres me terrorise je crois. On a papoté, on a rigolé, on a bien mangé, ensuite on est retourné en cours avec nos petites vies dans les poches.

Jens Lekman - Jens Lekman's Farewell Song to Rocky Dennis

samedi 13 septembre 2008

Arrive toujours un moment où je me sens économe, où je n'ai besoin de rien et où j'arrive à accumuler plus de 50 euros, je range alors quelques billets dans mon porte-monnaie, le strict minimum pour un achat pas plus grand qu'un coca ou qu'un livre, et la plus grande partie est rangée dans une petite pochette cartonnée à rabats qui se trouve dans le tiroir de ma table de nuit et ceci dans le but de me piéger devant la tentation. Mais à choisir entre l'énervement à l'idée que quelques billets mieux rangés que d'autres auraient pu me faire acquérir l'Objet qui serait à l'origine d'un bonheur parfait et sans embûches et celui d'acheter compulsivement l'éternel pull bleu marine dans lequel on sera à l'aise et pas trop moche à condition de se retrouver sans argent pendant quelques semaines, je choisis l'option deux.
Aujourd'hui j'avais emmené la petite pochette à rabats, dedans il y avait 30 euros économisés pour de grands projets futurs, tel un nouveau manteau ou un coffret DVD, ceci reste encore à voir.

Chez h&m, initialement partie pour acheter un jogging j'y ai trouvé un jean taupe et un pull bordeaux que j'ai pris taille XL, ainsi qu'un jogging, bleu marine. Il y avait énormément de monde et on était tous à la recherche du même Graal vestimentaire, je me suis dit "heureusement que nous n'avions pas tous les mêmes goûts", voilà ce que je me suis dit. J'ignore pourquoi mais aujourd'hui j'étais d'excellente humeur, on m'aurait poussée, jeter du haut de l'escalator et doubler en caisse que je serais restée souriante. Ce jour-là je crois que j'étais un peu émue par les gens et que, plus que d'habitude, je devinais en chaque personne la vie qu'elle mérite qu'on lui réattribue avec toutes les choses compliquées que ça implique (les cours de flamenco, les crèmes de jour, les gens thé, les gens café, les métiers bizarres, les enfants surdoués, les chaussettes trouées, j'aurai très bien pu me trouver à quelques mètres d'une chaussette trouée sans le savoir).

Il y avait une femme qui essayait d'extirper le plus délicatement possible des collants de leur emballage devant une caissière parce que celle-ci lui avait dit qu'il était possible de les rendre mais seulement bien emballés et non portés. Devant moi il y avait deux filles, une brune et une fausse rousse peut-être, elles devaient avoir la vingtaine, elles étaient minces et habillées en jean et en ballerines, la brune appuyait du pouce les épaules de la robe sur celles de son amie pour voir si la longueur était bonne.

En me dirigeant vers la sortie et en voulant exécuter le geste de mettre mon écharpe autour de mon cou j'ai vu qu'elle n'était plus là, ni accrochée à mon bras comme aurait pu l'être une amie (certaines font ça je crois), ni dans mon sac, ni dans mon sac monoprix (j'ai dû m'acheter un paquet de mouchoirs de poches parce que j'oublie tout le temps d'en prendre à la maison et même je crois qu'on n'en avait pas mais j'aurai pu prendre quelques kleenex d'une boîte et les plier comme je le fais souvent mais ça aussi j'ai oublié), je suis redescendue, catastrophée, c'était la plus belle écharpe bleu marine qui puisse exister, soyeuse et au tombée impeccable et en plus de ça payée 4 euros, en redescendant les escalators j'ai vu ma vie sans elle défiler devant moi, qui voudrait encore de moi sans ce bleu autour de mon cou? je vous jure que sur le moment c'est précisément ce qui me passait par la tête, je vivrai avec cette blessure toute ma vie, le sujet en deviendrait tabou, parfois au détour d'une rue j'aurai l'impression de la voir. Il était donc hors de question que je remonte sans. Je m'étais souvenue d'un moment où posant mes futurs achats sur un tas de fringues j'avais sans doute pu la perdre.
Quand je perds un objet, c'est simple, je mets le prix qu'il faut pour retrouver la copie la plus proche, parfois même plus belle. Pendant les vacances j'ai failli perdre mon cardigan bleu marine préféré, là aussi payé 9 euros au lieu de 58, le cardigan bleu marine universel. J'étais prête à y mettre le prix jusqu'à que mon petit frère qui se sentait impliqué le retrouve dans le sèche-linge, je suis actuellement toujours en train de payer ma dette envers lui.

Bref, ensuite pendant que les femmes cherchaient des fringues à acheter j'étais en train d'en chercher une que je possédais déjà. J'ai vu des vendeurs réparer les dégâts d'une bataille qui consiste à chercher sa taille dans une pile de trente pantalons. Ces plieurs, en temps normal on ne les remarque pas mais en fait ils sont assez faciles à repérer, étant les seuls à ne pas regarder les habits avec convoitise et d'ailleurs, plus simplement : ce sont des hommes dans un rayon pour femmes.
"excusez moi, est-ce qu'il y a un endroit pour les objets trouvés par hasard? parce que j'ai perdu une écharpe, bleu marine"
il appelle son collègue qui n'est pas loin, je marche vers lui, "bah j'ai perdu une écharpe bleu marine"
il semble savoir quelque chose et ses propos finissent par se préciser, il en a trouvée une tout à l'heure, il me demande de le suivre, le bonheur a un visage, j'étais soulagée comme c'est pas permis, ayant déjà commencé à penser à ce qu'on met à la suite d'une phrase comme "mais y'a beaucoup plus pire que ça, comme par exemple..."
je le suis jusqu'aux cabines, d'un tiroir en plastique il me sort le tissu sombre et magique
"ah merci, merci beaucoup", comme si je venais de reprendre par la main ma chipie de petite fille égarée, le regard plein de reproche et de soulagement.

Late of the Pier - Broken

mardi 9 septembre 2008




Je n'ai pas vraiment le temps d'écrire mais il n'est pas question que la fatigue me fasse faire l'impasse sur les rudiments à une journée réussie.
Je comprends maintenant pourquoi la plupart des écrivains ne sont qu'écrivains, il est juste impossible de passer sa vie à enchaîner les actes utiles et à côté de ça, écrire régulièrement, autant qu'on veut. Car le plus important est là : pour celui qui veut écrire l'idéal est qu'il puisse le faire jusqu'à l'épuisement. J'ai toujours aimé ces nuits d'écriture qui commençait tard dans la nuit et ce finissait tôt le matin, avec la ville lavée et blanche, le sentiment d'avoir dit l'essentiel pour au moins une semaine. Francis Ponge en parlait très bien, j'avais copié le texte qui figurait dans "le parti pris des choses", il expliquait que de retour de son travail il ne disposait que de précisément 20 minutes pour écrire.
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Quand je reviens du lycée j'ai comme des noeuds de fatigue plantés dans le corps, à cause des chaussures serrées, du jean accroché à la taille, du sac sur l'épaule, de la queue de cheval, des efforts de concentration et de socialisation qui ont jalonnés ma journée, et même, je pense que tout ça deviendrait supportable si j'arrivais à dormir plus de six heures par nuit.
Tirée et sollicitée dans tous les sens, les quelques gouttes d'énergie restantes seront employées à défaire précautionneusement ces noeuds, un par un, les doigts cherchant une issue tout autour du noeud, palpant, grattant, se concentrant sur la structure. Réhabiliter le corps à un état antérieur, passé sa soirée et sa nuit à travailler à sa réparation, avec le sommeil, la nourriture, le lavage de chacun de ses membres, la distraction, le repos devant la télé, "se détendre devant la télé", comme si tout s'évacuait par on ne sait où, on ne sait comment.

La fatigue ne permet rien, sinon d'avoir un regard un peu plus pessimiste sur le monde, la nuque de Lucia que j'aime tant regarder commence alors à m'irriter, la scolarité, la vie entière et les forces qui la régissent deviennent des mascarades, se vident de leur sens, il n'y a alors plus qu'un seul but à atteindre : le lit.
L'ennui est la principale cause de ma fatigue, je sais qu'en présence d'autres personnes et dans un autre environnement il en serait autrement, à la veille de certains rendez-vous je ne dors pas beaucoup mais une fois éveillée je me sens poussée des forces pour la journée et seul l'habituel café du matin me suffit. La fatigue dépend donc de ce que nous nous apprêtons à faire de notre journée, l'organisme est conscient de l'emploi du temps et il réagit en fonction de ce qu'il en pense. La fatigue n'est que l'expression de son opinion.

Je vous parle depuis mon lit, Emile regarde les Simpsons sur le lit de Myriam qui est encore à new york, hier je suis tombée malade en début d'après-midi, une gêne dans la gorge qui s'est maintenant muée en rhume, j'ai une boîte de mouchoirs et un paquet de bonbons au miel pas loin de moi, Marie m'en avait donné un en cours et ça m'avait drôlement soulagé, en revenant chez moi j'ai appelé ma mère pour lui demander de passer à la pharmacie pour m'en acheter, Marie, la certitude dans la voix m'avait affirmé que le paquet coûtait 1,50€, en revenant ma mère un peu sur les nerfs par l'effort que ça lui avait demandé de passer par la pharmarcie, avait protesté "quel 1,50€? C'est 3 euros le paquet", je crois qu'au fond je m'en doutais.
Ils sont beaucoup trop bons mais je les soupçonne d'être caloriques alors je fais mine de cacher le paquet au fond de mon sac, comme pour y rendre plus difficile l'accès, me décourager.
Je dois encore recopier des cours au propre, je dois aussi faire mes cheveux, préparer mon sac. mais pour l'instant je n'ai ni envie de m'extraire de mon lit, ni envie de m'extraire de cette ambiance pure et lumineuse de fin d'après-midi, quand le jour nous offre ses derniers éclatements, son dernier lait, comparable à celui que je côtoie le matin très tôt, quand je descends de chez moi et qu'il fait un peu froid, que je regrette d'avoir fait l'impasse sur une veste, car on s'habille tous en fonction du temps de l'après-midi.
Emile et moi avons alors conscience de la chance de la possibilité du repos et du réconfort après ce que nous estimons être de dures journées.

Il est aux toilettes et demande à ce que je hausse le son de
Metronomy - My heart rate rapid, c'est notre tube de la rentrée,
ça peut facilement devenir le vôtre.
On aime bien danser dessus dans le couloir comme des automates.

dimanche 7 septembre 2008

Aujourd'hui j'ai reçu mon nouvel ordinateur, c'est ma mère qui m'a dit qu'on attendait un colis et que cela ne pouvait qu'être lui, elle m'a dit ça pendant que je dormais, ses paroles se sont infiltrées dans mon rêve, comme d'habitude, quand elle me la redit en préparant mon café je me suis alors vaguement souvenue du moment où elle me l'annonçait, son corps posté au dessus de mon lit.
J'ai appelé Emile, quand un grand nouvel objet est adopté par la maison on y convie le plus de membre de la famille, ouvrant avec une patience affectée le gros colis enveloppé dans du plastique noir, on a bien fait les choses, bien ouvert la boîte du bon côté, ni par le milieu ni avec les griffes, ni avec les dents.

L'écran fait 17 pouces, il est gigantesque, comme ceux devant lesquels je passe à la Fnac, les géantes machines calmes et brillantes à 2000 euros, parfois tu passes devant et elle te mitraille avec leur webcam, tu te retrouves sur l'écran et ça t'amuses, j'avais fait confiance à mon père pour le choix, il me disait "diiix SEPT poouuces, diiixx SEPT pouuces ton ordinateur", je ne réalisais pas encore tout à fait, en fait c'est vrai que c'est grand, que ça dépasse de mes grosses cuisses quand je le pose dessus. Il était convenu qu'on ne parle plus de problème d'ordinateur pendant au moins 2 ans, c'est mon père qui l'a dit, je devrais donc faire attention, par contre je ne peux me résoudre à arrêter de télécharger des films malgré les risques que cela comporte.
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Vers les 14 heures il y a d'abord eu ce mail de A. après peut-être deux mois de silence, je n'espérais plus rien, cachant non seulement mon attente aux yeux des autres comme aux miens. Une attente sourde et lucide. J'avais été contrainte de ne plus en faire ma priorité, il fallait bien vivre avec une frustration de plus, un manquement. Il disait qu'il viendrait peut-être ce soir, que je devais l'appeler. Je l'ai appelé, j'ai bien respiré avant de le faire, j'avais peur de bégayer, d'avoir des absences à cause du stress, il fallait avoir un discours précis, l'apprendre par coeur, le prononcer avec naturel, en attendre la réponse et puis se décrisper. Ça s'est bien passé, il comptait venir, je lui ai redonné l'adresse, c'était lui avec sa voix pleine de fumée de cigarettes, après la Chine et le reste.

Tout de suite après le coup de fil un mail incroyable a décidé de poser pied dans ma boîte, un mail d'autant plus émouvant qu'il venait d'être rédigé et que je sentais le clavier encore chaud de son expéditeur, la tête encore plongée dans les mots qu'il venait de taper, j'ai été très vite submergée d'émotions, d'une émotion qui part du bas du ventre et qui roule sur ses parois, monte insensiblement jusqu'à la gorge, bloque la respiration, atteint les joues pour finir aux bords des yeux, c'était l'Inespéré, mais j'en reparlerai. J'ai plongé ma tête dans mes mains pour faire retomber vers le bas toute la poudre pétillante de ma surprise.

Vers 16 heures je devais rejoindre ma mère pour m'acheter un sac à dos, je n'étais alors plus la même et quelque chose avait radicalement changé dans ma vie, presque pour toujours.
J'ai légué mon Eastpak bordeaux à Emile, il m'en faut un nouveau, j'ai réfléchi aux divers choix qui s'offraient à moi : besace, porte-documents, sac à main, cuir, nylon, toile, j'ai pensé même aux besaces Freitag que j'aime bien mais qui coûte 150 euros, je sais qu'il y en a aux galeries Lafayette. Ma mère m'attendait au 8ème étage du Printemps de la maison, à mi-chemin du parcours A. m'appelait, j'y ai répondu entre deux stands de vaisselles de luxe, il me disait qu'il n'avait finalement pas trop envie d'y aller mais qu'il me proposait de me voir avant, prendre un café, je ne pouvais pas refuser même si l'emploi du temps qui jusque là s'annonçait sous le signe de la marche, devrait à partir de maintenant s'effectuer au pas de course.
Je disposais d'une heure et demi pour acheter mon sac, rentrer chez moi, me préparer pour la soirée et être à Stalingrad pour 18h30. Bougie sur le gâteau, ma mère ne comptait pas m'acheter le sac aujourd'hui, il s'agissait d'un repérage, elle reviendrait lundi, elle aurait alors -15%.
J'aurai dû rester chez moi et quand j'ai couru vers la gare, que je me suis retrouvée devant les horaires pour les trains vers Bécon-les-Bruyères j'ai décidé que le reste de la journée se ferait dans cette tenue, avec ce sac et cette tête et qu'on contrebalancerait avec de l'humour ou de la gentillesse, on trouverait bien. Je portais un polo bleu marine, un jean foncé, des chaussures bateau bleu marine, une veste marron en velours côtelé et une écharpe bleu marine assez soyeuse, une queue de cheval aussi, avec ma frange.

J'avais une heure devant moi et plusieurs missions à remplir : l'achat de cahier d'école, de livres et d'un gâteau pour ce soir. C'était M. du forum qui faisait une soirée pour la rentrée, quelque chose d'informel avec des aller et venues, une soirée-moulin.
Les cahiers étaient très chers au monoprix et je me suis rachetée une paire de ces stylos country qui écrivent comme des dieux et que tout le monde m'envie, de P. à mon grand-père, l'encre coule sur le papier de façon idéale. J'ai aussi pris un paquet de carambar mini pour accompagner le gâteau, ensuite je suis allée chez Paul et pour 13,50€ il y avait une bonne tarte aux fraises et aux framboises que la nana m'a emballée, elle est même sortie de son comptoir pour me donner le sac. Il fallait que j'aille à Stalingrad avec une tarte dans les mains et des cahiers dans le sac. A la fnac, les livres au programme de littérature de cette année en main, j'avais avorté toute tentative de paiement à la vue des queues longues comme des serpents devant les caisses, j'ai tout posé n'importe où, sur un coffret de Kurosawa aussi abandonné par son futur propriétaire, ça me gêne un peu de faire ça mais je ne me voyais pas remonter. J'étais à la fnac saint lazare.

Je suis à Stalingrad, j'ai un peu couru pour être à l'heure, ça devait se voir sur mon visage, quand je cours, que je transpire un peu, quelque chose se passe au niveau de mes pores, ma peau se nettoie. Rétrospectivement je ne me souviens pas avoir eu une sensation de stress ou d'anxiété, la lucidité prenait toute la place, tout allait calmement se passer. J'ai appelé A., il a commencé par me donner des indications pour que je le rejoigne à un café, j'ai coupé court à tout ça en lui demandant s'il ne pouvait pas venir me chercher. 5 minutes plus tard il était là, un pantalon beige, une veste chinoise en lin beige, un haut noir, des chaussures noires, ses lunettes de soleil. Je n'ai revu que très tard ses yeux, bien après le café et nos discussions. En marchant vers moi il avait dans ses mains un sac en toile avec un gros chat mignon aux traits triangulaires, il m'a dit que c'était pour moi et qu'à l'intérieur il y avait mes six contes moraux de Rohmer, il avait donc, à un moment où à un autre, pensé à moi quand il était en Chine. Ce n'était pas à négliger.

On s'était assis sur la terrasse d'un café, A. fume énormément alors on ne peut qu'aller en terrasse quand on est avec lui, il m'a dit qu'il fumait 3 paquets par jour. Au début il y avait un peu de soleil et plein de gens partout puis progressivement et sans qu'on s'en rende compte il n'y a eu plus qu'une table autour de nous, les autres ayant été rentrées à l'intérieur, et il faisait froid, je serrais ma veste et mon écharpe contre moi pendant qu'A. commandait un autre vin blanc. Il est beaucoup allé en boîte quand il était en Chine.

Avec ses lunettes il avait clairement un avantage sur moi, je veux dire, je connais ça, parler avec des lunettes de soleil, scruter le visage de la personne à côté de nous, tout y comprendre, tout y deviner. peut-être que ça me mettait mal à l'aise, je ne savais pas trop où regarder, quand je savais qu'il ne me regardait pas je le fixais, je crois que son visage avait changé, du repos y était peut-être à l'origine. Je me revois encore il y a deux mois en train de penser à tout le temps qui devrait passer pour qu'on arrive au mois de septembre, pour que ce que j'estime être une vie normale recommence, j'avais vraiment pensé à une disparition définitive d'A. et puis là j'étais avec lui, il m'avait choisi et invité, le temps avait filé vite et ces deux mois avaient été comme un long ruban de temps qu'on pliait et qui faisait se rejoindre les deux extrémités comme si le temps qui s'était écoulé entre l'abattement devant le constat de deux mois à tuer et celui où je m'étais retrouvé à côté d'A. et de sa présence chaude n'était que de 24 heures. Un long ruban plié dont on ne soupçonne plus la longueur.

Je savais que d'une façon où d'une autre j'aurai réussi avec pas grand chose à convaincre A. de venir chez M., je n'ai eu qu'à lui demander s'il était sûr de ne pas venir pour qu'il me dise qu'en fait peut-être qu'il viendrait. Et puis je n'avais pas noté l'adresse, n'ayant pas pu rentrer chez moi, alors il fallait qu'il m'accompagne. Il est allé dans une épicerie acheter trois bouteilles de bière et une bouteille de vin, pendant ce temps je regardais les sucettes rangées sur le comptoir, le pain derrière l'épicier. Vous savez je sentais qu'il manquait quelque chose à ma préparation et que je n'étais vraiment pas très belle mais A. m'a dit qu'il me trouvait rayonnante, que j'avais moins de cernes, je crois que ça a mis fin à tout mes doutes. Quand on était encore au café il avait réussi à détecter le rose foncé sur mes lèvres, par pudeur, sentant qu'elles devenaient le centre de son attention je les avais mordues, je n'assumais pas, et il venait de mettre un doigt sur les vestiges d'une coquetterie balbutiante. Il s'agit en fait d'un feutre à lèvres rose framboise bourjois très léger avec pas la moindre sensation de pâte à tartiner sur les lèvres et les dents.

Dans le métro, j'étais assise, A. était debout devant moi, il y avait un mec qui chantait derrière moi, je ne le voyais pas mais il était drôle, il disait par exemple "si vous n'avez pas 1€, donnez 2." les gens s'étaient alors rués sur leurs portes-monnaie. J'avais sorti une pièce de 50 centimes et A. avait aussi sorti quelques pièces, j'avais le regard posté devant la poche de son pantalon, j'y ai vu plein de pièces, c'était certainement les restes des billets qu'il avait sorti pour payer les différentes additions et l'épicier. C'était le moment de descendre et l'homme rigolo était trop loin de nous, A. a dit que c'était le destin, on est redescendu avec nos pièces.
Dans le métro, au moment où on se déplace d'un point à un autre, c'est toujours là que je me rends compte silencieusement du bonheur que je ressens ou non, j'étais parfaitement heureuse, il était dans les 20 heures, tout un horizon de possibilités s'étalait devant moi, j'allais passer une bonne soirée, A. planté devant moi, vraiment grand, la masculinité même, le métro était plein de présences joyeuses, je ne pense pas pouvoir en demander plus avant longtemps. Être heureux quelques heures c'est des années de travail et d'accomplissement, cela demande un certain nombre de rencontres, un positionnement idéal des étoiles, du temps libre de chacun.

M. nous a ouvert, on avait les mains pleines de sacs, de denrées, la tarte, les boissons, les Carambar avec les blagues d'elie semoun, un monde de douce profusion.
Dans le salon, assis sur des coussins autour d'une table, D., R. et B., il habite en Russie 9 mois sur 12, il est prof de français là-bas, aussi il fait de la musique, plus tard dans la soirée il a sorti de son sac un exemplaire de "soleils brillants de la jeunesse" de Denton Welch, je lui ai demandé s'il avait écouté mes conseils, lu mon blog, il m'a dit que non, qu'il ne savait pas, qu'il venait de l'acheter, ça m'a scié, parce que je l'avais aussi acheté par un grand hasard. Il n'avait pas dormi depuis longtemps aussi je me suis proposée de lui faire un café, M. m'a appris a utiliser la cafetière italienne.

Entre temps X. était venu, je ne m'attendais pas à ce que A. vienne et encore moins X. Disons que M. m'avait annoncé sa possible venue et que je m'étais chargé de lui envoyer un sms pour le convaincre de venir. Quand je me suis retournée pour le regarder, dans sa veste en cuir, parlant et souriant aux autres, je l'ai trouvé exceptionnellement beau, j'ai eu comme une surprise, un léger sursaut. J'ai passé la soirée près de mes deux hommes préférés, je n'avais même plus à me les figurer l'un à côté de l'autre, ils l'étaient, et ils parlaient ensemble, dans leur coin, pendant ce temps j'étais tourné vers D., on a toujours des trucs à se raconter, il m'a félicité pour le mail que j'avais reçu, on a parlé de secret story et des émissions qui passaient pendant les vacances sur m6,
"de toute façon M6 ils sont fascinés par les célébrités et les riches",
"on a tous ce côté voyeur mais c'est pas bien de le cultiver".
Il a dit qu'il aimerait bien partir à miami pour échapper à l'automne, il a encore ce projet de blog d'interview, je lui ai dit que maintenant, avec internet on pouvait interviewé par mail absolument n'importe qui, avant de partir de chez lui il avait tenu a enregistré "On n'est pas couché" pour pas rater les interventions de zemmour, je lui ai dit que de toute façon ça allait se retrouver sur dailymotion tellement il fait toujours des polémiques ce gars-là mais lui il ne voulait pas rater les phrases assassines entre deux interviews. On a aussi parlé du décalage entre nous sur internet et nous en vrai, qu'on était toujours un peu plus meilleur dans l'un des deux contextes, je lui ai dit que je parfois je me détestais sur le forum mais que ça ne m'empêchait en rien de ne pas continuer. Je me pardonne pas mal de choses.
M. portait un sweat avec un drôle de gribouillage, je lui ai dit "on dirait du keith haring", il m'a répondu "c'est jean michel basquiat", j'ai rigolé en lui disant que j'aimais pas ce mec mais que j'avais quand même été forte de trouver qu'il s'agissait d'un peintre.

Il y avait de la pizza, mes carambar mélangés avec des crackers dans un même bol jaune, des boissons, la copine de M. avait pensé à acheter un litre et demi de coca light spécialement pour moi mais ce soir elle n'était pas là. On a été définitivement sept personnes, dont six hommes, et moi au milieu, c'était sûrement imprévu, peut-être que M. avait invité beaucoup de personnes sans se soucier de la parité, d'un semblant d'équilibre.
On était autour de la table et on en a pas bougé, jusqu'à la fin, jusqu'à une heure du matin. A. avait considérablement bu, je ne sais pas comment il l'a fait, il l'a fait devant nous tous, n'ayant rien caché de ses intentions, profitant de notre négligence, on ne lui aurait, de toute façon, rien dit. Pendant la soirée je ne lui ai pas trop parlé, quelque chose d'hostile à lui était né en moi. X. avait les yeux rouges, les autres somnolaient un peu, j'ai coupé ma tarte n'importe comment, M. refaisait de la pizza, il y avait des cd qui défilaient dans l'air : madonna, beastie boys, pink floyd, led zeppelin. Rien de très important était en jeu, aucune rivalité, aucun secret, aucune séduction, juste de la camaraderie et un peu de nourriture, une soirée reposante ou chacun s'était extirpé en douce de son lieu de vie pour venir y assister. Ce n'est que vers 22 heures que j'ai appelé ma mère pour lui dire où j'étais, derrière elle j'entendais les miaulements du chat électronique d'Emile, ça m'a rendue triste, il devait s'ennuyer.
Je ne mentirais pas si je disais que parfois j'ai été sensible à de subtiles marques de désir comme par exemple dans les propos alcoolisés de A., et quand j'allais aux toilettes pour faire pipi je voyais bien ma tête dans la mosaïque de miroir, c'est vrai qu'il se passait quelque chose et que moi aussi je me trouvais belle, cela avait été mon jour de chance, c'est alors que j'ai décidé de ne plus jamais me maquiller en dehors de ce rose framboise.

Je suis partie avec X., A. était seul sur sa chaise, je ne sais pas à quoi il pensait exactement, j'espérais qu'il ne m'en voulait de rien, il m'a tendu sa joue et j'y ai déposé un bisou sincère, un peu plus tôt dans la soirée je lui avais dit "j'espère que tu n'es pas le genre de mec à te souvenir de ce que tu as fait la veille", je ne m'étais permise pas grand chose d'autre, je ne voulais pas être méchante mais quelque chose de mon admiration se déliait un peu, je ne sais pas très bien, j'ai ressenti ça dans le métro en rentrant. C'est à ce même moment qu'un type est sorti de la rame avec son copain qui m'avait à peine frôlé, "il est soûl, faut le pardonner", j'ai pris cette phrase à la lettre et j'ai décidé de l'appliquer à A.
Je ne suis pas habituée à voir des gens soûls, je ne connais pas grand chose à ce genre de détails de la nuit, la dernière fois que j'en ai vu un c'était à la fête de Charlotte en juin je crois, je ne sais plus du tout. Un gars avec un sac à dos m'a un peu brutalisé en me traitant de pétasse et de tout ça, il s'était plus ou moins écrasé sur moi et j'avais poussé un cri aiguë, des "au secours" comiques, je l'avais charrié sur son sac à dos. C'est surtout la gêne qu'on ressent pour la personne soûle qui est problématique. C'est une gêne qui lui dit "si tu savais comment je suis en train de te juger, j'en ai moi-même honte"

J'ai marché du pont de Levallois jusque chez moi, l'appartement était sombre et les corps de ma famille éclatées sur les lits, je me suis postée devant mon grand ordinateur, mon nouveau compagnon et j'ai commencé à rédiger, je me sentais un peu délester de tout amour pour toutes personnes. Demain il fallait que je pense à passer l'aspirateur. Ce samedi avait été incroyablement heureux.

The Doors - The Crystal Ship

vendredi 5 septembre 2008

Cela fait 7-8 ans que M. Delmas n'a pas eu une classe de terminale littéraire, M. Delmas c'est le professeur d'histoire géo que j'appréciais, que je pressentais apprécier mais que je n'avais jamais eu, puis notre prof de l'année dernière nous avait annoncé qu'on l'aurait encore en terminale, j'avais été un peu déçue de ne pouvoir jamais de ma vie adresser la parole à M. Delmas, de ne jamais me faire corriger une copie par lui. Et puis le jour de la rentrée, lors de la distribution des emplois du temps, sous Histoire/géo il y avait écrit son nom. Cela surprenait tout le monde. J'aurai donc des bonnes notes en histoire géo cette année.

C'est alors que le cours magistral se dote d'un charme nouveau, d'une ambiance bizarre, compliquée. Il y a un corps à regarder, un corps maigre, une vie à s'imaginer (sa compagne, sa bibliothèque), un visage à fixer et dont le regard refait incessamment le tour de la classe pour tomber et retomber jusqu'à vous avec la même opacité, seule la bouche remue. Je me suis demandé s'il avait déceler quelque chose dans mes yeux à moi, s'il pensait encore à cette fille qui l'appréciait en première littéraire et dont on lui avait parlé, s'il y mobilisait des forces secrètes pour la reconnaître, procédant par élimination, des forces de celles que personne ne soupçonne, des jeux inavoués qu'on accomplit en amitié, par solidarité avec nous même.

J'avais comme idée très sérieuse celle de consacrer une feuille simple à toutes les informations que je pourrais collectionner à son sujet pendant les cours, il est très bavard concernant sa vie privée, rien qu'en deux cours on a pu apprendre des informations, des informations comme des épaules découvertes qui donnent envie de plus. Même si je n'aime pas les professeurs qui tentent de faire ami-ami avec leurs élèves j'aurai souffert d'une distance qu'il aurait préétabli entre lui et ses élèves, moi en l'occurence. Souffert dans le sens où la fatigue des insomnies m'aurait rendue vulnérable et parano, sensible à tout les signes.
Très bizarrement aujourd'hui pour le premier cours nous portions précisément la même chose : chemise blanche rentrée dans un pantalon noir, puis une veste noire. Ca m'a frappé, d'autant plus que la veille je n'avais pas prévu de porter ça et que vers le début du cours il a commencé à plier les manches jusqu'à ses coudes, précisément de la même manière que moi. Je sais que cela n'a aucune valeur mais j'ai aimé m'attacher à ce moment, rien que pour la beauté de la coïncidence, du phénomène magique qui se produisait devant notre classe et que j'étais la seule à décoder. J'étais sa miniature.
En tapant son nom sur Google j'ai trouvé pas mal de choses très disparates, une série d'Annabac qu'il a rédigé, une interview de lui pour la sortie de son livre d'heroic fantasy (lol), des réponses à un forum sur un débat concernant l'extrême gauche, une photo qui date un peu où il porte un perfecto, son nom sur Copains d'avant, rien de très cohérent, une incohérence qui caractérise toute vie qui commence à s'éterniser.

En dehors de ces détails il est vraiment très drôle et parle comme un garçon qui jouerait "à la guerre" pendant les récrés.

mardi 2 septembre 2008

Il y a ces nouveaux chiffres sur le réveil, ce qu'on n'a pas croisé depuis plus de deux mois, le 7 et le 8 surtout, et puis il y a cette "boule au ventre" dont on parle à la radio, l'angoisse de la rentrée, sur Europe 1 (hier sur la radio de mon réveil je suis tombée sur Europe 1, je ne peux pas visualiser les fréquences sur ce réveil) sur France Inter et dans la rue aussi, quand je marchais vers le lycée, un petit disait ça a sa nounou, "je sais pas pourquoi j'ai une boule au ventre".
A la radio ça parlait aussi de chiffres, je ne sais plus combien de millions d'élèves qui font aujourd'hui leur rentrée, on s'imaginait un mouvement de foule silencieux et caché, des enfants englués à leur lit se levant, l'image du pied qui touche le parquet, la petite danse quotidienne entre les pièces, quelque chose de nouveau qui reparaît, le quotidien comme le énième membre de la famille.

Hier en allant chez Auchan acheter des trucs à manger, des produits d'hygiène et des stylos à Emile j'ai trouvé des belles tasses à 1 euro l'unité, blanche au forme ronde, je crois que ça faisait quelque jour que j'avais une idée bien précise de tasse en tête, j'ignore pourquoi, reste que celles-ci sont très proches de celles que je me plaisais à imaginer. On possède de vieilles tasses, ça va faire peut-être une décennie qu'on les a, on ne voit pas pourquoi on en changerait, à moins qu'on les fracasse toutes par terre, on ne peut pas s'en débarrasser et c'est bien ça l'ennui, et l'envie de plus belles tasses n'est pas un argument qui tienne la route. Une tasse reste une tasse jusqu'à sa mort, cet objet un peu simplet, un peu féminin, on ne peut plus fonctionnel, à la simple vision rassurante et tant mieux si en plus de ça elle est jolie. une tasse sur un bureau, une tasse entre les paumes. La tasse, on la garde, on l'épuise, les motifs estompés, les bords cabossés, l'anse amputée, on persiste, on la garde jusqu'à qu'elle ne puisse plus remplir sa fonction, se remplir. Acheter une tasse c'est être emprisonné, c'est lui rester fidèle malgré le temps qui passe et les envies de changement.
J'en ai pris trois, je les ai soigneusement posées dans le panier vert avec le gel désincrustant et la poêlée de légumes grillés,
Ca m'a fait réfléchir à la durée de certains objets, les montres (la mienne venant de mourir, je n'en possèdais qu'une), les stylos, les élastiques pour les cheveux, les téléphones fixes, les téléphones portables, les gommes. Ces objets qu'on use et qu'on épuise ou qu'on perd avant de pouvoir le faire, j'aime cette idée d'épuisement, l'image d'un cuir ou d'un jean qui devient souple, ce sont comme des corps.
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Concernant le I-touch de Julie j'ai trouvé qu'il s'agissait là d'un vrai bijou de technologie, c'était la première fois que je (touchais?) prenais plaisir à tripoter une de ces petites machines brillantes. Je lui expliquais que je n'avais rien contre "la technologie", que je trouvais ça très bien mais que ça ne m'intéréssait pas trop, c'était très bien sur les autres, je demande encore à ce qu'on m'en prouve l'utilité, et puis quand j'ai vu que sa merveille nous avait carrément localisé au mcdo de la Défense ou mon blog sur un bout d'écran c'était comme voir évoluer un hamster dans mes mains et prendre conscience du mécanisme compliqué qui tenait dans cette petite poche de poils, c'était très amusant et je me suis demandé où pouvait bien se trouver la limite à l'émerveillement de la première fois et aussi qu'il était bien dommage de s'habituer si vite à de petits miracles comme celui-ci. En appelant mon petit frère pour savoir s'il voulait que je lui fasse à manger une fois que je rentrerai j'ai là aussi réalisé ce que j'étais en train de faire, ce geste mécanique du coup de fil qu'on passe et auquel là aussi on s'est habitué, j'aimerais encore pouvoir sans me forcer regarder le monde comme on regarde la vitrine d'une boulangerie, avec ces gros yeux de mangas.