samedi 31 janvier 2009



Vendredi au Rive droite il y avait le karaoké. On était sur la terrasse chauffée, ça faisait qu'on était tranquille seulement quand la porte qui donne sur le dehors et la porte qui donne sur l"intérieur était fermées : la première faisait entrer le froid, la deuxième faisait entrer le bruit.

Ce vendredi soir je portais mon manteau noir d'homme et une écharpe ressortie du fond de mon étagère à écharpes. Il y a des choses trop audacieuses ou dont on doute de la beauté pour les porter en cours, alors on les teste lors de brèves sorties dehors, histoire de voir discrètement et à l'abri des personnes qui nous connaissent si elles méritent d'être exposées au grand jour. Cette écharpe c'était ça : épaisse, longue et large, achetée il y a très longtemps (4ème je crois) au H&M des hommes pour 3€ peut-être, enfin un prix vraiment dérisoire qui m'avait mises en joie. La couleur a aussi une histoire, elle est verte menthe à l'eau. En 3ème j'habitais seule toute l'année une table longue pour deux et collée à celle du bureau des professeurs. Elle me donnait l'occasion d'une complicité avec eux, j'entendais ce qui échappait aux autres. Quand les professeurs voulaient s'adresser à autre chose qu'à 30 élèves et bien c'est moi qui prenait, c'était très agréable quand j'y repense, je crois que cet emplacement ne présentait que des avantages, j'échappais presque totalement aux histoires et bavardages d'élèves qui se tramaient derrière moi, derrière ça n'existait tout simplement pas. Je ne pouvais qu'être extrêmement attentive en cours, mes notes ne suivaient pas, cela surprenait tout le monde. Une fois je portais un haut vert menthe à l'eau, et ma prof d'arts plastiques m'avait alors dit "c'est osé cette couleur pour une brune comme vous". Depuis ce vert je l'imagine osé et en porter s'avère être un calcul de ma part. Je ne sais pas, je crois qu'elle avait raison, il y a vraiment quelque chose qui se passe entre ce vert et mes cheveux.

Je vais au lycée, il fait encore nuit, il fait encore froid, bonne ambiance, les gens se déplaçant à la façon de fourmis studieuses et silencieuses. Sur le trajet j'entends un père dire à son fils "tu me refais le coup de la bretelle cassée", le fils est baissé sur son sac, en difficulté. Peu après, en cours, je le dis à Julie, je lui dis toujours ce que j'entends dans la rue sur le trajet de l'école. Elle me répond "t'entends toujours des trucs bizarres dans la rue toi", on dirait qu'elle est jalouse. Je ne sais pas, je crois que tout le monde peut entendre, il faut être attentif, aussi là je me dis : C'est vrai que Julie a un Itouch, voilà donc, jeunesse, ce que tu rates.

Penser à ouvrir un blog "brèves de rue".

Au Chistera, un vendredi, le vieil homme habitué du café à une connaissance : "la vie passe, on coule, mais on coule doucement...". Quand j'entends de vieilles personnes parler c'est un éternel tangage entre deux types de discussion :
1) discussions anodines sur le temps qu'il fait, sur les jeunes.
2) discussions graves qui se rapportent à la maladie, la solitude, la vieillesse ou la mort.
Je ne dis pas ça méchamment.

Dans ma douche je regarde la mousse du gel douche glisser sur mon bidon, je me dis que vraiment ça aurait beaucoup plus d'allure sur le large espace qu'est le dos, qu'on pourrait même filmer ça, parce que c'est intéressant. Ça coule plus vite quand on y met de l'eau. Voilà ce qu'on rate à ne pas voir son dos. Je pense à la pub culte du chocolat pâtissier Nestlé, avec le chocolat qui glisse sur la poire, à l'époque je ne savais pas que cela pouvait avoir une connotation érotique.

Julie n'aime pas vraiment la place qu'elle a dans la salle de philo : sa table est bancale. A chaque fois je lui prête mon paquet de mouchoir dont je retire la majorité des mouchoirs, ensuite elle coince le paquet sous le pied de sa table, ça ne bouge plus. Je laisse alors les mouchoirs immaculés près de moi mais j'ai la sale manie de toujours laisser mon stylo plume ouvert posé dessus, ça m'arrive beaucoup trop souvent. La cartouche se vide, les mouchoirs sont foutus.

Emile mange devant moi : "mon copain russe, il a les cheveux en bataille...et même en guerre."

Vendredi de la semaine dernière, Cécilia doit aller chez le kiné, elle veut que j'attende avec elle l'heure de son rendez-vous, nous allons regarder les livres au Virgin. Il y a des moments où vraiment, il y a des livres qui s'imposent à moi, je les ai en tête, sur des listes de livre à lire, puis un jour ils affleurent de la masse de livre à lire, comme ça, sans aucune raison, vraiment aucune. L'idée se précise dans ma tête et malgré tout ce que j'ai à lire, tout ce qui s'empile et se meurt sur ma table de chevet et dans des sacs sous mon lit, j'achète le livre. C'est le moment de lire ce livre, je ne pourrais pas lire dans une période plus idéale que celle-ci Oblomov.

Ce passage au Virgin a aussi été l'occasion pour nous de découvrir la tête des nouveaux Folio. Le constat est sans appel, extrême déception. Folio qui jusque-là l'emportait loin devant les autres maisons de poche vient de perdre de son prestige. Un jour quelqu'un m'a écrit : "le partis pris de sobre élégance des Folio m'énerve un peu", je ne pouvais qu'être d'accord même si vraiment je ne le ressens pas du tout comme ça, peut-être parce que le livre de poche en général m'est sympathique, en fait je pense que s'il fallait critiquer quelqu'un ce serait toujours Gallimard mais ses publications nrf. Ce rouge et ce beige, il est vraiment très beau, mais je ne marche plus, et c'est salissant. Je pense en fait qu'il faut plutôt se préoccuper du choix des nouvelles couvertures Folio qui de plus en plus fait le choix de prendre des photos de banque d'images, genre Getty ou Corbis, rien de plus moche et de plus impersonnel. La mécanique des femmes de Calaferte, qui bénéficiait d'une belle et mystérieuse couverture, je l'avais d'ailleurs acheté pour ça, la couverture a maintenant changé. Le lendemain c'est X. qui me demande lors de la soirée Forum, "hé Murielle, t'as vu les nouveaux Folio ?". C'était donc un évènement.

On peut s'amuser à se poser la question de l'influence d'une couverture sur le choix du lecteur. On peut difficilement rendre une image fidèle au contenu qu'elle tente d'illustrer, pourtant il y a moyen de réduire au maximum l'effet trompeur que celle-ci peut avoir sur le contenu. Il ne faut pas qu'elle avantage trop sans pour autant le desservir. Peut-être que l'absence d'image est en fait le meilleur choix, dans ce cas il faudrait alors pouvoir supprimer le titre des livres qui sont à leur façon trompeurs. Oh je ne sais pas.

peinture de Francine Van Hove

Eugene McGuinness - Fonz

lundi 26 janvier 2009

"J'aimerais dormir, mais tu dois danser"


La dernière fois que nous nous sommes vus avec les Gens du Forum remonte à ce samedi, avant samedi il y a eu ce dernier vendredi des vacances chez F. pour son anniversaire-pendaison de crémaillère. Cela avait été une soirée trop riche de tout et trop longue pour que je puisse convenablement en parler et pour la première fois je semblais être victime d'une incompréhensible insuffisance de langage. On se prépare pour l'écriture mais on ne sait pas par où débuter, ni faire le tri entre l'anecdotique et l'essentiel, ces choses qu'en temps normal on éxécute spontanément sans que la question ne se pose. Alors on se résout à garder cette soirée dans son égoïste boîte à souvenirs sans pour autant douter de la nécessité de la partager un jour. Il aurait fallu éviter à cette soirée de sombrer dans l'oubli et je n'en avais pas été capable. Peut-être qu'un mois après je peux en parler, ça ne ressemblera pas à la fresque nocturne que je m'imaginais mais au moins des choses resteront, des choses qui encore maintenant me laissent un goût doux et sucré en tête, il me semble d'ailleurs que je ne compte pas du tout parler de la soirée.
Je peux dire que je portais une robe noire et que j'ai dû dormir chez Elise, une fille que je voyais pour la première fois et qui habite à l'autre bout de la ligne 1, Château de Vincennes. Inutile de dire que pour une fille de La Défense, l'autre bout de la ligne 1 signifie l'autre bout du monde.
Il était 4h quand nous venions de quitter la soirée, nous étions alors les dernières à partir et les circonstances faisaient que personne ne pouvait nous raccompagner, ni même nous avancer. La meilleure solution avait été d'unir nos billets pour payer un taxi qui nous emmènerait chez Elise. Une fois chez elle, Elise m'a surtout demandé "aucun commentaire", je ne comptais pas le faire, je me disais seulement qu'en entrant chez elle c'était comme si j'avais pointé du doigt n'importe quel fenêtre d'appartement pour ensuite pouvoir le visiter, c'était le hasard suprême, une chance énorme, cela faisait un certain temps que je n'avais pas dormi autre part que chez moi. Je veille chez les autres mais je n'aime pas dormir autre part que dans mon lit, parce que je ne maîtrise pas l'heure de mon levé et que j'ai toujours l'impression d'avoir besoin autour de moi d'une quantité considérable de choses qui m'appartiennent. Cette nuit-là je n'avais eu que le contenu de mon sac, j'étais la seule à pouvoir y plonger aveuglément la main, cette pensée me rassurait.
J'avais insisté pour veiller en attendant le premier métro, mais Elise insistait pour que je dorme et qu'on y aille demain matin. C'était comme si j'avais vraiment craint de dormir chez elle et tant que je le craignais je n'aurai pas pu m'endormir, j'avais alors écrit un peu dans les brouillons de mon blog avant d'aller m'effondrer sur le matelas qu'elle venait de déplier.

"Lentement, je commence à me déchausser et à accepter le fait que je vais dormir chez une autre. Une fille que j'ai vu pour la première fois aujourd'hui chez F., que je connais du forum et qui par un malheureux concours de circonstances et parce que je ne comptais pas rentrer avec le dernier métro, a finit par m'inviter à dormir chez elle à Vincennes. Je n'ai pas vu grand chose de son appartement, j'y ai deviné quelques meubles dans l'absence de lumière que sollicite un appartement qui dort, vers les 4h du matin. J'ai vu sa chambre et la "salle internet", d'ailleurs c'est dans cette pièce que j'y tape ses premiers mots parce que mes activités y sont restreintes et m'aventurer en dehors de cette pièce me fait peur, je commence à m'y habituer. J'ai bien La Nausée dans mon sac et puis je peux aussi farfouiller dans ses Cd et ses livres rangés juste derrière moi, les affaires d'Elise, mais j'écris, non pas pour ne rien oublier mais pour que les choses se racontent comme elles devraient être racontées, avec ce recul tout juste acquis de fin de soirée. Il y a aussi le fait que le souvenir de cette soirée m'enthousiasme plus que de raison et qu'il me fait l'effet d'un secret : j'ai envie de le partager avec tout le monde. Mes cheveux sentent fortement la cigarette et je les éloigne du visage, je tente de ne pas penser à mon corps, froid, sale et fatigué, je pense juste au clavier, à ce moment un peu irréel de fin de vacances, chez une étrangère. Je porte encore ma robe noire et mon eye-liner, je compte dormir comme ça, j'ai même un léger trou dans mon collant et j'ignore pourquoi mais A. avait du vernis transparent sur lui, dans son énorme sac Beijing 2008.
[...]
J'ai fait ce qu'on peut appeler un "brin de toilettes", c'est à dire que je me suis lavé méticuleusement le visage avec de l'eau, jusqu'aux oreilles, et que j'ai bu et recraché une gorgée pour compenser le manque de brossage. Les produits d'hygiène d'Elise me conviennent totalement mais ce ne sont pas les miens et il y a des choses qu'on ne souhaite pas emprunter. Je me suis postée devant le miroir : voilà à quoi j'avais pu ressembler pendant la soirée. Pas trop mal mais un épiderme proche de la surface lunaire , avec ses crevasses et ses irrégularités, une chevelure étonnamment sombre, et même noire ,comme la robe. La robe qui me va, première fois que je la porte, achetée à prix cassée, c'était vraiment elle ma complice ce soir : l'assurance, le sentiment d'une certaine élégance, la confiance en moi, elle m'a tout apporté. Cette nuit elle n'était plus qu'un morceau de tissu froid et noir, sentant fortement plusieurs arômes de cigarettes. Les cigarettes de A. et celle d'Elise, celle de B. aussi, tout ces gens qui à un moment de la soirée sont venus les uns après les autres et très naturellement me parler en tête à tête. Ça tournait, c'était émouvant, c'était spontané. Plus qu'en l'amitié, je crois en la sympathie, au peu de choses que l'on sait des gens qui étaient là. Je me suis endormie vers les 6 heures du matin, j'ai déplié le matelas et j'ai pensé à lui comme au "matelas des filles perdues" sur lequel Elise fait dormir toutes les copines qui ont subit le même traitement que moi, les mêmes soins, la même petite attention."

Pour accompagner mon sommeil et afin d'oublier le caractère étranger de la pièce je m'étais endormi avec la radio de mon portable, sur un débat à propos des réseaux communautaires genre Facebook. Vers 10h j'avais passé une partie de la matinée à somnoler sur une émission parlant de la solidarité et de l'amour du prochain, il me semblait que tout les termes et toutes les voix me pénétraient agréablement le crâne, je sentais que je venais de "très bien dormir".
On dort bien quand le plaisir procuré par le sommeil déteint sur nos premières perceptions de la réalité, qui nous paraît alors plus douce. Une fois réveillée, je n'ai pas osé bouger et j'ai attendu qu'Elise vienne me chercher pour m'autoriser à sortir de la chambre. Son visage doux apparut, elle m'avait fait du thé et du jus d'orange. Sur la table de la salle à manger m'attendaient une orange pressée, leur dernière part de gâteau au chocolat et deux madeleines sous plastique. Le salon tout petit tout mignon semblait inusité, les salons ont toujours été les pièces les plus immobiles du monde et dont la moitié des objets présents ne servent à rien. Sur le mur, les tableaux et les coussins on pouvait voir des motifs floraux façon chromo, gentiment désuets et très émouvants sous les froids rayons de soleil. Sur la table, trois assiettes, j'allais mangé avec son père qui n'allait pas tarder à sortir de sa chambre. Face à lui je m'étais senti forcément mal à l'aise, j'avais pénétré et dormi chez lui sans son autorisation, et malgré le consentement de sa fille c'était surtout le sien qui comptait. Je devais passer pour une fille salement perdue, encore en tenue de soirée et qui avait fait des bêtises toute la nuit, mais très vite ce sentiment s'est dissipée, parce qu'il faisait en sorte d'avoir des choses à me dire et qui me conseillait de goûter la confiture de figue.
En attendant que son père vienne s'installer j'avais pensé au côté absolument rassurant de la nourriture, qui donne de la douceur aux situations un peu délicates, nous ne sommes pas chez nous, nous ne reconnaissons rien en dehors des formes que prend la nourriture. Le jus est là, on connaît le jus, on connaît les madeleines. J'avais poliment débarrassé, comme je l'avais fait un peu plus tôt chez F. Secouer les canettes de bière pour juger de leur contenu, vider les cendriers, jeter les assiettes en plastique pleine de miettes de galette, les paquets de cigarette vides. Ici débarrasser les tasses de café et les verres de jus, les assiettes et les emballages de madeleine. Elle m'avait accompagnée jusqu'au métro, il faisait froid mais du soleil existait et nous avons traversé le Bois de Vincennes avec ses arbres nus et vrais comme des corps d'hommes. Elise fumait lentement en me parlant de son passé et je prenais des photos, très contente de la situation. Le temps du retour j'avais eu besoin de ce soleil pour adoucir la brutalité de mes souvenirs et l'appréhension quant à justifier mon découchage auprès de mes parents qui n'avaient pu que me laisser faire. En temps normal je m'arrange pour revenir avec le premier métro et à 7h du matin je suis là, je me déshabille, je range mes affaires dans l'obscurité et je me couche.
Il n'y avait personne à la maison en dehors d'Emile qui dormait entre mon lit et celui de ma soeur, je ne pensais plus qu'à une chose, prendre ma douche, mettre toutes mes fringues au sale, me brosser les dents, me démaquiller, puis retrouver les repères de mes samedis habituels.
Ma mère ne m'a pas engueulée, l'histoire que je lui proposais semblait tenir debout. Elle nous a préparé à déjeuner de la salade, de la viande et du gâteau au chocolat, mes cheveux étaient mouillés et sentaient encore la cigarette malgré la force mobilisée pendant le shampooinage. Je m'étais ensuite habillée puis promenée aux Tuileries les mains gelées dans mes gants. Ensuite j'étais allée voir le Cuirassé Potemkine au cinéma. A côté de moi, une mère venait de sortir une tablette de chocolat et en cassait des carrés qu'elle distribuait à ses deux fils qui lisait des comics en attendant la séance. Dans le métro du retour une américaine me demanda poliment de l'argent, "it's a difficult time for me...". Je me remémorais les choses, je mesurais le décalage : la matinée chez Elise n'avait pas pu exister.


Lundi
Quand il s'agit de communiquer ce qui se passe lors d'une fête, tout devient plus dur, c'est comme raconter un film, la description sinon le compte-rendu de ce que l'on vient de voir est toujours insatisfaisant, ajoutez à cela le fait qu'on a toujours le sentiment légitime de vouloir faire son intéréssant, sinon de se justifier de quelque chose. Je m'en rendais bien compte ce matin chez Hubert, je mangeais mon chausson aux pommes qui tombait en miettes sur mon écharpe, Cécilia et Charlette buvaient leurs chocolats chauds, Julie s'était acheté une sorte de brioche après son pain au chocolat. C'était pendant l'heure de trou du lundi matin, quelque chose était retombé, comme on tire un rideau, comme on fait tomber un couperet, il n'était plus question des aventures pailletées du samedi mais d'un lundi matin simple comme un verre d'eau, où l'on se débrouille pour ne pas s'évanouir sous le coup de l'ennui, où l'on est pris de vertige lorsque l'on pense au mot "routine", et l'on discute pour se serrer les coudes. J'essayais de leur raconter ce que j'avais fait, ce qui s'était passé, je racontais la vingtaine de personnes présentes, dans ma tête les scènes passaient en boucle, tout me revenait en détails, projeté sur les parois de ma mémoire, il ne fallait plus que trouver les mots et communiquer.
Les filles se demandaient "mais vous faites quoi ?" vous faites quoi pendant ces soirées, vous faites quoi sur le forum. Je trouve que c'est une bonne question, je me la pose à moi-même, qu'est-ce qu'on fait ? Je sais que quand je regarde un film je dis "j'ai vu un film" et quand je vais toute la journée sur le forum je dis "j'ai rien fait". Ça montre que ce que je fais dessus, tout ce temps, ça ne va nulle part, le temps est gâché ou alors n'existe plus. J'ai dit à P. "quand tu reviens des cours, enfin quand je reviens de cours au lieu d'aller discuter au bar tu vas sur le forum", je parle à la copine de Nicolas, de ce qui fait qu'on est étrangement réunis ce soir, ce mélange bizarre d'âges, de coupes de cheveux et de professions. Il n'y a qu'internet pour justifier l'inexplicable. J'arrive à 21h30 en jupe avec un gâteau à la main, je repars à 5h30 avec une assiette lavée, j'ai troqué ma jupe contre mon pantalon, l'eye-liner me faisant des yeux de panda, qu'est-ce qui s'est passé ? Dans le métro je pense : c'était une fête comme un monde tout brillant tout neuf. Je suis profondément heureuse de fréquenter ces gens, je les aime sans les connaître, je les aime assez fort pour que ça en devienne ridicule. S'ils savaient ils me diraient "tu exagères", je garde cette amour pour moi, au fond de mes poches comme un vieux mouchoir humide, il n'a besoin de rien pour exister, il est là, comme un nuage rose et bienveillant au-dessus de chaque personne présente. Tout à l'heure j'étais près de la chaîne hi-fi et les gens mangeaient mon gâteau, il me semblait que le réel me faisait plus l'effet d'un souvenir que de la réalité. Je suis là, je pense aux gens comme à des souvenirs alors qu'ils sont bien présents, qu'ils me parlent et me touchent. J'apprécie trop ces moments pour les penser réels et je finis par y superposer ma nostalgie future, j'ai le recul que je devrais avoir dans un mois sur le moment que je suis en train de vivre. Ça ne me fait jamais ça, en temps normal je me sens les deux pieds englués dans la réalité, les bruits, les formes et les couleurs me brutalisant les sens. J'aurai voulu l'expliquer aux filles mais il faut aussi que j'arrive à faire la part des choses entre ce qui intéresse et parle aux autres et ce qui mérite de n'appartenir qu'à moi. On débarrasse les plateaux, j'enfile mon sac à dos, je boutonne mon caban, c'est l'heure de l'histoire géo.

Girl Talk - Still Here

mercredi 21 janvier 2009


Jeudi


J'ai été malade le dernier jour des bac blancs, j'aime à ne pas croire à une coïncidence et voir en ma maladie comme le signe de mon corps arrivé "à bout". Les révisions d'histoire sont toujours les plus lourdes car elles ne demandent rien d'autres que de la mémoire, des gigaoctets de mémoire, garder des gorgées d'informations dans sa bouche pour les recracher le lendemain, ne pas faire céder la mémoire jusque là, garder la mémoire en état de veille, aux aguets, s'abstenir de regarder des films, s'abstenir de tout contenu étranger, cela s'apparente à une performance sportive. Vers les 23 heures un mal de tête s'infusait en moi suivi de tremblement vers les 1 heure à cause de la fatigue : sentiment délicieux de se sentir exister, dans une situation extrême, d'avoir fait les choses jusqu'au bout, pour une fois. Le lendemain : gorge morte, fatiguée à en pleurer, invitation à passer quatre heures dans une salle, ça ne pouvait pas se refuser.
Je suis sortie assez tôt de la salle, avant mes copines et un peu après tout ceux qui avait pris le parti de l'insolence : ne pas réviser, partir tôt. Ils ne sont pas inquiets, jamais ils n'ont été aussi temporellement éloignés de la correction de ces bacs blancs, devant eux s'étalent encore quelques jours de répit. Je ne sais pas ce qu'ils font de leurs après-midi, bien sûr que ça m'intéresse. Sans doute discutent-ils dans des cafés jusqu'à ne plus arriver à bien articuler les mots, ils épuisent leurs sujets préférés, médisent sur des connaissances communes, ils vont au restaurant. Pour eux c'est encore une après-midi de passée, ils se disent mais tentent de se le cacher : voilà ce pour quoi ils ont négliger l'histoire géo, pour une après-midi de pesante liberté. Je me suis levée, j'ai fait grincé la chaise comme il est convenu de faire pour annoncer à chacun que pour nous ça suffit. Un par un j'ai regardé les visages de mes copines pour savoir si ce que j'étais en train de faire été normal : elles m'ont fait les gros yeux de l'étonnement :"déjà ?!", je lisais ça sur leur visage, en toutes lettres. La prof qui nous surveillait se coupait les ongles sous le bureau, je lui ai tendu ma feuille, j'ai rangé mes stylos, mes talons claquaient à travers la salle. J'étais chez moi vers 11 heures, je pensais "je suis là avant le courrier". Je n'aime pas rentrer chez moi le matin, on sent tout un monde hostile à notre venue, les objets qui nous diraient presque "on ne s'attendait pas à ce que tu sois là si tôt, on est vraiment pas présentables". Je crois avoir mangé du pain d'épices ou du pain au lait en écoutant la radio, puis j'ai voulu dormir et j'ai difficilement trouver le sommeil. Mon lit n'avait rien de la chaleur humaine qui en temps normal le fait passer pour la prolongation de mon corps ni même cette douce fraîcheur, pareille à celle qu'on sent en posant le dos de sa main sur une fenêtre. J'ai mis la télé en sourdine avec par-dessus le dernier album d'Animal Collective, j'ai réussi à m'endormir en changeant de position, je m'endors plutôt facilement sur le ventre.
J'ai repris connaissance sur les coups de 18 heures, j'avais prévu d'aller voir La nuit du chasseur au Reflet Medicis mais des courbatures ont trouvé le temps de s'insinuer entre mes articulations et ma gorge était encombrée de cochonneries. Malade, le mot était lancé, des rituels et précautions devront être pris. J'ai préféré miser toute ma soirée sur le programme télé. Sur Arte il y avait un film de Woody Allen suivi d'un documentaire sur le roman new-yorkais, j'en oubliais mon mal.

Vendredi

Je dois rejoindre Dimitry à 19h métro Oberkampf, j'ai mangé un sandwich Auchan, je me suis racheté des boules Quiès et un baume à lèvres bizarre dans une parapharmacie et aussi un paquet de mouchoirs à 70 centimes au Relay, ils vendent toujours le même paquet avec un dégradé qui va du bleu au jaune. Comme le paquet coûte cher je fais plus attention, au début il tient bien en mains, sa prise est rassurante, il a ses 10 mouchoirs. Puis il finit par être assez aplati pour que je l'utilise comme marque-pages, il ressemble à un gant de toilettes. J'avais envie de prendre un café mais j'étais officiellement pressée, il fallait que je sois en forme, Dimitry m'invite au concert d'Animal Collective.
Au moment de sa sortie, j'avais vainement essayé de comprendre ce que l'album Feels avait à dire. Le concert était l'occasion de forcer la rencontre avec le dernier album que j'ai trouvé très émouvant, sans doute génial, j'ai même fini par éprouver le manque de certaines chansons, elles résonnaient dans ma tête aussi agréablement que des mots d'amour qu'on repense, qu'on remâche. Je me suis demandée si le concert en général concrétisait quelque chose, pourquoi l'album ne suffisait pas, où se trouvait la vérité des chansons, où elles habitaient vraiment: dans le live ou sur CD, point d'interrogation. J'étais encore un peu malade mais j'ai pour principe de ne jamais rester chez moi quand les premiers signes d'une maladie se manifeste : aller au lit c'est donner raison à la maladie, être dans de bonnes dispositions pour la recevoir intégralement alors qu'en étant en mouvement c'est comme si on lui faisait la sourde oreille. Par contre quand vient le soir il faut redoubler d'effort et assidûment se soigner pour le lendemain. Je crois que ma technique marche.
Dans le métro je me disais que vraiment c'est très agréable d'être dans les transports un vendredi en début de soirée, les choses restent vagues : on ne fait pas la distinction entre ceux qui sortent du bureau, ceux qui vont en soirée. Il y a des gens avec des valises, des gens qui reviennent des soldes, les jeunes ont de l'avance, ils sont déjà dans le monde du temps libre depuis cet après-midi. Je me disais : voilà, j'ai eu ma période visage enfoui dans mon livre, maintenant je veux tout savoir de ces personnes, parfois je souffre de ne pas en savoir plus mais cette souffrance n'est qu'un caprice et se dissipe très vite, probablement dès que je sors de la rame. Un jour viendra, ce sera plus fort que tout, j'en aurai assez, j'irai aborder quelqu'un. Dimitry fumait près de la rambarde, je lui ai souri, je crois que pour lui plus que pour un autre j'ai tendance à oublier son visage alors à chaque fois que je le vois c'est un peu la surprise. D'abord je crois que j'ai du mal à lui parler, à formuler des choses intéréssantes, tout devient compliqué, j'ai conscience de mettre des mots bout à bout, je m'éloigne. Nous avons eu beaucoup de temps pour parler, je crois que c'est surtout moi qui parlait, je pensais à cette lourde semaine que je trimballais avec moi : le vendredi on porte sa semaine sur soi, sur son visage, sur son attitude, quand on baille on baille pour la semaine qu'on a passé.
Dans la queue pour le Bataclan Dimitry m'a tendu un sac Fnac en me souhaitant un "joyeux Hanoukka tardif" : je saisis l'objet à travers le sac, très vite je sais que c'est un livre. En le sortant je reconnais la couverture jaune avec les fourmis, je pense Cécilia, je me souviens encore de la critique dans Technikart, Cécilia lit cet auteur et elle aime bien m'en parler, m'en lire des passages, Julio Cortazar. Le livre fait environ 1500 pages, c'est une édition GallimardQuatro, avec le papier lisse et la police comme il faut, un peu comme celle de mon blog. Rétrospectivement je pense que les cadeaux sont comme des objets fantastiques faisant irruption dans le quotidien. Quelque part vous êtes la victime de quelque chose qui se trame contre vous. J'étais choquée, je n'ai pas su réagir, je n'ai même pas penser à ce que j'allais faire du cadeau comme je le fais d'habitude, c'est à dire que je m'imagine en train de lire le livre, j'avais cet objet entre les mains et il semblait qu'il n'était pas à moi. Encore aujourd'hui il est là, il trône sur la table de nuit, le bureau, le lit, ma soeur le déplace, il n'a pas vraiment de place, Emile vient parfois le feuilleter, on a vraiment du mal. Je dois m'y faire, il est à moi, Dimitry me l'a donné. Je l'ai sincèrement remercié, j'étais vraiment gênée mais le pire était à venir, quant il m'a dit "je te déconseille de regarder à l'intérieur", je n'ai d'abord pas prêté attention à sa remarque, c'est en le feuilletant que j'ai vu deux places colorées coincées dans le livre. Je me suis dit "les deux places pour Animal Collective", ou alors la mienne et le reçu, souvent on prend le reçu pour une place et ça fait des fausses joies. Je regarde de plus près la deuxième place, sur le papier multicolore se découpait le nom suivant : DAVID BYRNE.
C'est important de saisir ce qui se passe dans ce genre de moment, on a l'impression de faire l'objet d'une grande blague, d'avoir sauté une étape dans la narration, on aimerait demander des explications, pourquoi cette place entre nos mains, qu'est-ce qu'elle vient faire là, quelle idée, pourquoi moi, David Byrne, merde. On avait parlé de ce concert, le prix de la place étant ce qu'il est j'avais fini par y renoncer, et puis je connais surtout les Talking Heads et pas la carrière solo de David Byrne mais j'avais le sentiment que le soir du concert l'Olympia serait the place to be. Voilà, encore une de mes idées. Chaque soir il y a des endroits où il faut être, ça arrive qu'on y soit et quand on y est on le sait. Cette idée est apparue le jour du nouvel an, avec Cécilia on venait de manger du saumon et des pâtes au Lutèce et on marchait calmement dans la rue en s'étonnant à chaque instant de passer cette fête ensemble. Tout était finalement très normal, pas d'enthousiasme particulier dans les restaurants, ni dans les rues, mais on pouvait toujours s'imaginer Paris traversé par une énergie particulière, sauf que c'était faux. Je pensais aux gens s'étant fixé pour but de s'amuser et de vivre une soirée "pas comme les autres", je me disais qu'il leur fallait simplement choisir "l'endroit qui ressemble le plus possible au centre du monde", j'ai retrouvé la phrase dans mon carnet et je suis toujours d'accord avec elle. Par exemple j'ai tous les soirs conscience que ma chambre n'est en rien le centre du monde et que j'y suis vraiment retirée. Au concert d'Animal Collective c'était déjà autre chose.
Depuis le balcon on pouvait estimer la moyenne d'âge de la fosse tournant autour de 25-30 ans. Des gens calmes, peu enclins aux pogos et qui avait pour seule fantaisie de s'autoriser à fumer pendant le concert, de lever quelques bras presque involontairement, parce qu'avec une telle musique, minérale, qui me faisaient penser à des miroirs qui se renvoient indéfiniment une sorte d'énergie pailletée, ils se devaient de faire se manifester le corps, par reconnaissance. C'était une fosse très très belle avec de beaux visages, comme pour tous les concerts chaque personne semblait faire absolument abstraction du reste de la salle, de la promiscuité, ce n'était même pas méprisant, ils étaient simplement venus seuls ou avec leurs amis et il comptait continuer comme ça. Une fosse c'est assez intéressant : c'est tout plein de gens qui sont très proches les uns des autres mais juste assez pour ne pas se toucher, ça donne un bel effet, je comprends qu'on ait envie de s'y jeter dedans. Ils ont leurs visages comme ça, tournés vers la scène, on dirait des tournesols. Il y avait derrière le groupe cinq longues tiges lumineuses, pas du tout des néons, plutôt des écrans qui pouvaient diffuser des couleurs unies ou un arc-en-ciel, c'était peu de choses mais ça rendait très bien, j'ai alors pensé au pouvoir de la couleur, à sa drôle d'influence sur nous, se voir asperger de rose acidulée cela rend joyeux comme un enfant. Il n'y avait aucune interruption entre les chansons et j'avais le menton appuyé sur le rebord, je regardais autant le public que la scène, je ne savais plus où se trouvait le spectacle. Je voyais les visages réfléchir la lumière envoyée depuis la scène : la scène était bleue, tous les visages le devenaient. C'était un drôle de phénomène, parfaitement explicable mais qui sans explication passait pour poétique. J'attendais My Girls, Dimitry, lui, Brothersport. My Girls a été joué après le rappel, en toute fin. D'abord j'avais eu l'impression de l'avoir oublié et de volontairement mettre du temps à me la rappeler, doucement son souvenir remontait en moi pendant l'intro, devant elle je feignais de la découvrir pour la première fois mais la surprise était réelle, j'ai touché le bras de Dimitry pour l'avertir, lui demander de se concentrer, je joue une sorte de jeu amoureux avec elle, elle me titille, je lui souris, le groupe n'a que peu d'importance, cette chanson n'est plus à eux, la musique sortait des enceintes et non de leurs machines, je me disais ça. De tout le concert je n'avais distingué le visage d'aucun des trois membres, pourtant ça vient de là, ce n'est pas seulement électronique, il m'a semblé alors que la vérité des chansons se trouvait dans les concerts.

Animal Collective - Daily Routine

dimanche 18 janvier 2009

Dimanche aux Buttes-Chaumont

"Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu'on s'en rende compte ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter, comme l'autre soir, au Rendez-vous des Cheminots : voilà la Nausée; voilà ce que les Salauds essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge : personne n'a de droit; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n'arrivent pas à se sentir de trop. Et eux-mêmes, secrètement , ils sont trop, c'est-à-dire amorphes et vagues, tristes."
La Nausée - Jean-Paul Sartre























Cécilia semblait plutôt réticente, elle n'aime pas les parcs en hiver alors qu'ils me sont intolérables en été, me donnent envie de m'évanouir, parce que c'est trop de choses en même temps. Marie voulait aller au Dôme, je lui ai répondu "ça saoule le Dôme, moi aujourd'hui je vais aux Buttes-Chaumont", elle était d'accord, Cécilia aussi. J'ai testé pour la première fois la ligne 5, dans ma rame ça sentait tellement mauvais que je suis descendue et que j'ai pris le suivant. Je les ai retrouvées, Marie a senti l'odeur d'une boulangerie (on la sent toujours bien après la boulangerie), l'odeur de pain au lait qui reste comme la meilleure pub qu'une boulangerie peut avoir. Le truc c'est qu'on sent cette odeur mais qu'on achète tout autre chose, en l'occurence ici Marie a acheté une demi-baguette qui était bien chaude et très salée selon les dires de Cécilia.
Nous nous sommes promenées, c'était mieux que de flâner dans les rues, mieux que de faire naître mille désirs devant mille vitrines, ici tout était gratuit, il n'y avait rien a touché, seulement s'émerveiller très bêtement devant un vieil arbre, devant une famille qui semblait y avoir ses habitudes, le lac gelé qu'on aurait voulu percé avec des cailloux comme on perce de sa cuillère le dessus d'un dessert. Marie voulait monter partout, elle aime la hauteur comme les enfants peuvent l'aimer, Cécilia se plaignait de l'odeur de terre humide et restait assise sur un banc à lire son Goethe pendant qu'on prenait des photos, moi j'adorais ça la terre humide, je préfèrais ça à l'odeur de sueur végétale qu'on sent en été, j'aurai voulu m'enfoncer les mains dedans et m'en faire un masque. Nous sommes sorties, Marie avait faim alors on a fait un détour au Mcdo de Saint-Michel pour lui payer une connerie. Le caissier était très très beau et on gloussait dans sa queue comme des pétasses. J'ai dit à Marie "demande lui son numéro et après tu me le passes...peut-être qu'il te le glissera dans le sandwich". Je me suis détournée de la caisse en attendant qu'elle commande, c'est ensuite que Cécilia m'a raconté que Marie avait osé lui demander "vous avez mis votre numéro à l'intérieur ?", il avait répondu "non" en souriant poliment. Aïe.Quant au week-end prochain, elles étaient prévenues : "Dimanche prochain, Montsouris".

jeudi 15 janvier 2009

L'argent des soldes

Je ne sais pas exactement combien de temps ça fait que toutes les lumières de notre chambre se sont pétées les unes après les autres, déjà qu'on fonctionnait qu'avec celle du bureau et la veilleuse, on a jamais estimé très urgent de réparer le petit hallogène qui est au dessus de la bibliothèque et quand il ne restait plus que la veilleuse pour guider nos pas, Myriam a estimé judicieux de trébucher sur le fil et de la faire tomber. Donc ça doit faire depuis un certain temps, peut-être une semaine qu'on se déplace dans la chambre à la lueur de la télévision, des écrans d'ordi et de lampes de poche initialement prévues pour mes lectures d'insomnies. Le matin je me réveille, il fait encore noir, j'essaye alors de distinguer le pull noir H&M du pull bleu marine Benetton, je trouve ça plutôt amusant et d'un point de vue écologique on peut dire que ça le fait. Ok je trébuche, mais ça faisait longtemps que je n'avais pas trébuché.

Les semaines de bac blanc ont toujours le chic pour me faire me retrancher totalement du monde, ce n'est que très tôt dans la matinée que j'ai le droit à un bref aperçu du monde avec le journal sur France Inter, le matin ça paraît presque doux et iréel tout ces noms de villes, ces nombres de morts et ces hommes politiques. Involontairement je me surprends à remâcher l'information au cours de la journée, à y repenser comme s'il s'agissait d'une fiction. Pour accepter un tel mode de vie pendant une semaine il semblerait que quelque chose en moi se soit rangé. En matière de révisions j'arrive peu à peu à tenir les longues distances et même à les commencer assez tôt, ce qui me paraissait pourtant inconcevable il y a quelques années. Puis très vite avec l'arrivée de la philosophie dans votre vie vous vous rendez bien compte que travailler uniquement la veille n'est plus possible. Je me souviens des nuits blanches que me faisait passer mon TPE, je passais mon temps à visionner des films et à en soutirer des commentaires que je ne trouvais qu'avec des heures de réflexion et parce que j'y étais obligée. Toute la force du travail est ici, dans cette obligation à produire des résultats, on en ressort inévitablement renforcé, comme des callosités sur les doigts à force d'entraînement à la guitare.
Donc j'étais en bac blanc, je me souviens de la première heure, on sentait une certaine excitation et en même temps, à chaque fois qu'il y a une semaine entière mangée par des examens les gens restent assez détendus, pas du tout stressés, gardant en tête que quatre heures d'examen aboutiront à une après-midi libre, sinon de révisions. Par souci de bien faire les choses la nana nous a placé par ordre alphabétique, je me suis retrouvée derrière Iba qui a sorti de son sac deux bouteilles Volvic d'1,5L, deux clémentines et deux tablettes de chocolat au lait. Les deux bouteilles étaient pleines et énormes, le mec venait de transporter 3L d'eau de chez lui pour une raison qui m'échappait. Je faisais tout aussi bien avec ma petite bouteille d'Evian que je prends soin de ramener vide de chez moi pour ne pas m'alourdir et que je remplis une fois au lycée. Je crois que personne ne lui avait dit qu'on a le droit d'aller aux toilettes au bout d'une heure. Ca paraissait tellement insensé, je crois que ce mec est très con. Très con ou malade. La nourriture qu'il avait ramené participait de mon énervement. J'ai déjà vu Iba tenir quatre heures sans manger, ça arrive à tout le monde, le lycée reste le moment des privations sinon de l'ascèse pour chaque lycéen et j'imagine qu'il faut jouer le jeu. Parce que je n'en ressens pas le besoin et je trouve ça assez méprisable et irrespecteux je ne ramène jamais de nourriture lors des examens. J'estime, non plutôt disons que d'un comportement est né l'opinion qu'il ne faut manger que dans des endroits fait pour cela, avec des gens qui mangent autour. au pire je prends le paquet de chewing-gum qui traîne au fond de ma poche, les Airways que ma mère achète sont tellement dégueulasses qu'ils arrivent à me réveiller.
Quatre heures, annoncé comme ça il semblerait que l'on se trouve face à un couple de cruelles quadruplés à couettes prévoyant de nous passer sur le corps. Il va falloir les ménager, les révisions sont là pour ça, rendent le temps passé face à sa copie presque agréable. Dans ce contexte là la situation de l'élève se rapproche de celle de l'écrivain qui ensemble font face au syndrome de la page blanche. Les heures se passent et au bout du compte il se trouve que l'on sait à la fois gérer notre temps et le fatras de connaissances qui macèrent calmement dans notre tête. Iba mange un morceau de chocolat et se gratte le dos pendant qu'Anaïs ne soupçonne même pas que le gros Hello Kitty qu'elle a dans le dos est en train de me faire les gros yeux. Le ciel a tout perdu de ses joues roses, il ne reste plus qu'une sorte de bleu dilué dans du lait, sinistre juste parce qu'il donne à voir la vérité des bâtiments. Par l'effort que produit toutes en même temps ces mémoires lycéennes j'imagine une sorte de nuage d'énergie survolant nos crânes, et ce dans toutes les classes où se passe l'examen. Je continue d'écrire.

Mardi après l'anglais je me suis dit que j'avais envie de faire quelque chose qui pourrait me "détendre", je crois qu'on utilise ce mot pour signifier qu'on veut être consolé d'un trop-plein de travail et de choses plutôt sérieuses et très chiantes. J'ai toujours passé mon temps à faire ce que je veux avec un petit temps accordé au travail, maintenant la tendance s'inverse et le temps concédé l'est au divertissement. J'avais l'argent que mon père m'a tendu le jour même des soldes, soit 100€. J'avais des choses en tête qui jadis m'avaient affreusement plu et qui devaient être soldées, je suis allée leur dire bonjour. Les soldes sont le moment de la vie où l'on peut se payer un manteau d'homme tout en économisant 100€ sur le prix initial. Matière un peu rigide, satin bleu clair et poche à l'intérieur, je m'aimais moi dans ce manteau et j'aimais encore plus m'imaginer moi dans la rue avec ce manteau. Il ne m'en a pas fallu plus, je lui ferai visiter ma chambre, le lycée et les salles de cinéma, bref, le parcours de base de tout nouveau vêtement. Ensuite je suis allée regarder les chaussures, j'aime beaucoup les chaussures et j'aime me mêler aux femmes qui aiment les chaussures, elles redeviennent sérieuses. Les chemises, les pantalons, les manteaux et les écharpes, les hommes aussi peuvent aimer ça, mais les chaussures à talons ça reste notre grand truc. J'ai toujours dit des talons qu'ils rendaient la marche intéréssante, que c'était presque un jeu, qu'on finissait par aimer marcher. C'est un peu comme la cigarette, ça accompagne le corps, le sculpte, le rend plus gracieux, plus présent, lui donne l'importance et la légèreté qu'il réclame et mérite, c'est chorégraphique, du jeu pour les grandes personnes. Les femmes fument, se maquillent, se parfument, portent des talons et sortent dans les rues, et tout ça est très bien. J'ai trouvé une paire de chaussures Avril Gau sur laquelle je lorgne depuis des mois, très classe, bout carrées, vernies, avec une bride passant au milieu comme sur des salomés, un petit talon et une ligne dorée passant tout au long du talon et continuant sur le devant de la chaussure. Une vendeuse demanda ma pointure dans son micro relié à une oreillette, je trouve ça assez intelligent comme système, ça existe pas depuis très longtemps et c'est seulement pendant les périodes d'afluence qu'ils font ça. J'ai essayé la paire calmement dans un coin, sur une banquette, ensuite il faut se lever et marcher un peu pour se mettre en situation. Ca ne pouvait que contraster avec le reste de ma tenue pas franchement élaboré mais ça incitait à porter des tenues classes, c'était vraiment osé que de les prendre. Je n'ai pas une garde-robe très féminine et je n'ai que presque que du bleu marine, comme disait mon amie Virginie je suis ce genre de personnes à trouver que le noir et le bleu marine sont incompatibles. J'ai dit à la nana "c'est bon" et il ne restait plus qu'à faire le plus dur. En caisse devant moi une nana désirait échanger une paire de chaussures qu'elle venait d'acheter, sur le devant il leur manquait de la couleur et le cuir était globalement usé. Elle prétextait une différence de couleur entre les deux paires, la vendeuse ne la croyait pas et lui demanda de revenir demain, qu'il fallait qu'elle voit ça avec son responsable. A sa place j'appelerai le vigile et ferai sortir cette mytho du magasin pour faire place à la vraie cliente que je suis.
Je venais de dépenser presque intégralement l'argent des soldes, il me restait bien trois euros. Je marchais avec mes deux grands sacs plastique et mon sac de cours, je marchais entre les travailleurs, je pensais à mes chaussures, à ce que je comptais mettre avec, il me semblait n'accepter qu'à moitié leur beauté audacieuse, leur élégance d'un autre temps qui me donnerait envie de regarder mes pieds à chaque seconde pour essayer de comprendre. Je n'avais pas su faire autrement que de les prendre, comme une hirondelle qui vole tout ce qui brille. Au moment de choisir si oui ou non il me les fallait j'imaginais la situation la plus inconcevable : moi avec les chaussures ou moi sans, le constat était sans appel. Je pensais au changement qui s'est opéré en moi depuis quelques années : au primaire j'avais le droit à ma paire de chaussure annuelle et je la portais tous les jours même si elle n'allait pas avec mes pantalons en velours et mes cols roulés, aujourd'hui je me rends seule dans une boutique pleine de femmes, je regarde avec attention, je demande ma pointure, je sors les billets, je rentre chez moi et l'approbation de ma mère n'a que peu d'importance, je crois d'ailleurs qu'elle est toujours un peu surprise par ce que j'arrive à trouver dans des magasins qu'elle imaginait nases.
La gare Saint-Lazare bloquée et Bécon-les-Bruyères se trouvant sur la ligne qui mène à Paris Saint-Lazare, les gens se sont rabattus sur le bus et faisaient la queue pour prendre les escalator y menant. Mère ne répondait pas au téléphone et je n'appelle jamais mon père, Emile proposait de venir me chercher en trotinette, j'ai poliment refusé en prétextant que de toute façon "je devrais marcher à côté de toi, donc ça revient au même", on rigole, on s'aime bien, il m'a dit qu'il y avait de la pizza et des frites à la maison. Je raccroche, il y a des jours où il faut accepter de se débrouiller seule. Je marchais à contre-courant des autres travailleurs, il y avait dans leur marche une détermination qu'ils prenaient à vouloir se rendre d'un point à un autre, rien de la promenade, simplement la marche comme moyen de transport. Une fois arrivée (30 minutes après) près de chez moi j'entends un bruit mécanique qui ne m'intéressait pas assez pour que je me retourne, c'est quand j'ai ouvert le portail de la résidence que j'ai vu Emile dans sa doudoune faisant de la trotinette en pleine nuit. C'était marrant, il m'a dit qu'il m'avait reconnu à mes baskets.

Animal Collective - My Girls

samedi 10 janvier 2009


"Moi quand je fais les courses chez Auchan, je réfléchis un petit peu."
Emile J.


Mardi

Dans le cadre de Lycéens au cinéma, nous allions voir The Host de Bong Joon-Ho, je me souviens de ce que Dimitry m'en disait, en fait je ne me souviens pas des termes mais plutôt de l'idée, que c'était complètement loufoque, quelque chose dans le genre. C'est bizarre, il me semble que j'ai exactement ses mots, sa voix et son attitude en tête mais qu'une fois que j'essaye de retranscrire ce qu'il a pu me dire du film ça sonne faux, ou comme si les phrases étaient pleines de trou, c'est ce qui fait qu'on ne peut jamais vraiment retranscrire fidèlement quelque chose. Ce que je peux dire c'est qu'on en avait parlé au moment où j'allais à la Filmothèque pour voir d'anciens films de Hong SangSoo qui repassaient dans le cadre d'un festival du film coréen. Ce mardi matin j'avais désirer de toutes mes forces ne pas dormir pendant le film. Cécilia n'était pas venue, préférant le télécharger, je m'étais dit qu'en dernier recours je pouvais toujours m'accorder ma sieste et lui demander une copie du film sur une clé USB. Je l'imaginais dormir dans la pénombre d'un mardi matin, peut-être que par habitude de se lever tôt elle avait fini par se réveiller, incapable de se rendormir elle lisait un livre en pyjama pendant que bien calées dans nos sièges et les traits fatigués nous attendions impatiemment que la messe commence.
Après 2h nous sommes sorties sans dire un mot, il nous semblait qu'un tel concentré d'intelligence ne méritait aucun commentaire et que si commentaire il y avait il ne pouvait paraître qu'insuffisant, et même s'il était pertinent il nous aurait quand même agacé. Il nous fallait digérer. Le temps d'un film dépasse de très loin sa projection, c'est une sorte de rencontre qui se prépare et qui après coup s'analyse. On croise des affiches, on lit des critiques, on nous le conseille comme on nous parlerait vaguement d'une connaissance qu'on aurait le choix de rencontrer ou non et l'on essaye d'appréhender la chose inconnue. Si le film est bon il s'agira de le porter en nous, d'en retrouver des échos dans la vie réelle, que les deux se mélangent et se répondent, qu'on en fasse une sorte de manuel de savoir-vivre.
Nous marchions calmement sur la neige, et se rendant peut-être compte du temps libre qui venait de lui être imparti, Julie proposa qu'on aille toutes manger ensemble. J'avais été triste de lui dire que je n'avais pas du tout faim et que je n'avais pas d'argent. Elle me trouvait chiante, peut-être même rabat-joie là où sa faim et la perspective d'aller manger au restaurant l'enthousiasmaient visiblement. Je nous voyais déjà au chinois de La Défense qu'on aime beaucoup, avec nos barquettes en plastique et nos canettes de soda. J'ai bien fait d'annuler parce que même si c'était tentant je n'aurai pas su profiter comme il faut de la chaleur des discussions combinées à la nourriture huileuse mais bonne. Quand on va manger chinois j'achète toujours une boule de coco pour chacune de mes amies, j'ignore ce qu'il y a dedans mais à chaque fois que j'en achète c'est justement l'occasion de ressortir le vieux débat des ingrédients de la boule de coco. Ensuite on papote en secouant plusieurs fois nos canettes sachant très bien qu'elles sont vides, puis on vide nos plateaux dans les poubelles du restaurant on fait un tour au centre commercial, ça arrive aussi qu'on aille au cinéma. Je crois que ça fait très longtemps qu'on y ait pas allées toutes ensemble, c'est vrai aussi que Julie est difficile à faire venir, parce qu'elle est occupée, qu'elle a plusieurs vies à entretenir, d'autres amies. La dernière fois que je suis allée au cinéma avec elle c'était pour voir Phenomenes, nous étions toutes seules en plein été dans la grande salle Prestige de 800 places des Champs-Elysées. J'étais partie en courant lui acheter ses M&M's et elle avait eu cette remarque devant le prochain film de Will Smith et qui ne finit toujours pas de nous faire rigoler : "Will Smith s'il sauve pas la terre au moins une fois tout les six mois il se sent mal". En fait je viens de me souvenir, on a aussi vu The Dark Knight ensemble vers le tout début de l'année, très tardivement, bien après que le buzz ne s'essouffle, un jour avec peu de monde dans la salle.
Je suis rentrée chez moi, j'ai allumé le chauffage et j'ai mis mon bas de pyjama parce que je n'aime pas dormir en jean. Ce sommeil d'après-midi qui gagne le corps par degré est vraiment le plus délicieux. Je me suis réveillée vers les 21h et j'ai continué ma philo jusqu'à environ 5h du matin. Myriam révisait ses partielles sur le bureau, cette fois-ci j'avais un pied dans la veille et l'autre dans le sommeil, encore toute attentive à la lumière et au bruit.

Mercredi
Mon réveil a sonné à 6h30, j'ai foncé me préparer un café avec la machine : un vrombissement, deux toussotements, quatre crachats et c'est prêt, bizarre que dans la pub ils ne fassent jamais allusion à ces bruits. Jai emmené le mug Mobil dans la chambre, je l'ai posé près de moi, sur le matelas. Les fenêtres semblaient être sur le point de ployer sous le froid et je ne me voyais pas passer cette matinée autre part qu'ici, dans le lit, dans le chaud. En décidant de me rendormir je décidais du même coup de priver la classe de terminale L d'une de ses élèves.
Je me suis levée à midi, j'ai pris une douche, je me suis habillée avec le mot "chaudement" en tête, j'ai mangé la dernière part de tarte au thon, j'ai demandé à Emile "qu'est-ce que tu veux manger ?", je lui ai mis du riz et je suis partie rejoindre B. place de la Sorbonne. Il m'a fait visiter la Sorbonne et nous sommes allés au Reflet, le bar d'étudiants qui se trouve juste en face du cinéma le Reflet Medicis. Quand j'y passais devant ça me faisait l'effet d'une vieille taverne trop intime pour être publique, les façades des cafés et des bars sont des spectacles dont il est toujours conseillé d'y pénétrer pour connaître l'envers du décor. Nous y sommes restés plusieurs heures, il m'a prêté des bouquins de philo, un garçon qui m'avait vu en mettre est venu me demander "une petite noisette de crème pour les mains", il semblait en avoir vraiment besoin, et tandis que B. se défoulait sur Godard, une nana chic comme pas possible nous a interrompu pour nous conseiller Godard par Godard, elle lisait Le Magazine Littéraire, buvait un chocolat chaud, elle sentait très bon, se remettait du rouge à lèvres et sur sa table était posé un petit chapeau kaki. Nous l'avons vu rentrer au Reflet Medicis.

Je suis de très près la météo, je n'hésite pas à ralentir devant un panneau d'informations pour attendre que l'horloge passe à la température, je suis déçue à l'idée qu'on se situe au dessus de O°C, j'aime les -2°C, j'aime que ce soit spécial. Quand j'ai 10 minutes avant que mon train ne parte je vais au Relay, je feuillette quelques magazines que je n'achète jamais, j'ai le temps de lire un article, de regarder les couvertures et les groupes qu'on recommande ici ou là. J'achète rarement des magazines, je n'aime pas quand un mensuel dépasse les 3€. Si je pouvais j'achèterai Transfuge, Chronicart, Positif, Magic, Rock'n'folk et Jeune et Jolie, ainsi qu'une barre de Bounty et un Kinder Bueno white, soit un peu plus de 30€.

Vendredi
Je suis arrivée en avance devant le lycée, aussi j'ai décidé d'aller au Chistra, le tout petit café pas loin. Il fallait que je finisse de lire les trois chapitres du livre d'anglais renforcé A lesson before dying, une merde qu'Oprah Winfrey vous recommande. Je n'aime pas trop aller dans ce café, je n'aime pas les cafés placés à proximité du lycée parce qu'ils sont toujours plein de bande de lycéens devant lesquels il faut passer et qui se la jouent bruyants et intéréssants et qui parlent de Facebook et de Blackberry, surtout au Big Ben et au Polly Maggoo. Finalement aller au café c'est encore aller au lycée. Une fois je suis allée au Chistra avec Alexia pour qu'on discute de notre TPE, j'avais le sentiment de rentrer chez elle, qu'elle y avait ses habitudes, et je n'arrivais pas à me décontracter comme il est convenu de le faire dans un café. Je suis quand même rentrée, pourtant j'aurai très bien pu continuer mon chemin et ne pas m'arrêter, ça tenait à peu de choses sinon à un sursaut de courage, une porte qu'on décide de pousser et des gens qui nous fixent ou qui font mine de vous ignorer. De toute façon vous n'êtes jamais vraiment transparent dans un café, il y a toujours quelqu'un qui vous remarque, sinon personne ne viendrait prendre votre commande. Cette fois-ci le fait qu'il y ait une bande de terminale braillarde devant des tasses me rassurait un peu, leur bruit couvrira mon silence. De là où j'avais décidé de m'installer je pouvais voir passer mes amies qui elles ne me verraient pas car trop enfouie au fond du café.
Il fallait se mettre et élaborer une compréhension du lieu ;Une fille est sortie du café avec une tartine beurrée dans une assiette, un vieil homme s'est assis près de la baie vitrée et la serveuse est venue lui apporter son café sans qu'il ne commande rien, on pouvait se demander à partir de combien de cafés la serveuse finissait par vous l'apporter sans que vous le demandiez. Lui même avait déjà sorti les pièces, c'était l'heure de lire le journal. Au cours de mon séjour j'en avais appris un peu plus sur moi : rien ne me calme plus qu'entendre dans un café des chansons à la radio : on reconnaît Michel Berger ou les Bee Gees au détour d'un silence, entrecoupés du générique de Cherie.fm, Chante France ou Nostalgie. Tout est là. En me rhabillant je me demandais s'il fallait dire aux employés "merci, au revoir", s'ils allaient m'entendre. Je l'ai dit avec le désir d'une voix qui porte, je me suis dit "question d'honneur, je reste polie, j'aime le confort que me procure la politesse, je ne trouve pas ça superficiel ni hypocrite, quand je dis merci je le pense et la personne en face le sait. Je reste polie même si on ne m'entend pas, même si on ne me répond pas, je reste fidèle à moi-même." En sortant j'ai vu Julie, quand elle m'a vu ça faisait comme si je venais du métro, j'ai dû lui expliquer l'aventure qui venait de m'arriver.

Il n'y avait plus de pain de mie à la maison, ça m'obligeait à acheter mes propres sandwichs en attendant que ma mère fasse les courses. J'ai accompagné Marie à la boulangerie. Il y avait de grands plats en aluminium avec toute sorte de nourritures, des gratins, des pâtes,. C'était bizarre pour une boulangerie. En général toutes les boulangeries m'enchantent, je prends plus de plaisir à regarder la diversité des choix qu'à me décider à choisir entre une seule chose qui une fois au fond d'un sac en papier a plutôt tendance à me déprimer. Le superbe d'un macaron à la pistache vient du fait qu'il est placé entre un croissant et une part de flan. Je me suis dit "j'ai un billet de 5€, je choisis ce que je veux, le truc le plus gluant, le plus extraordinaire". J'ai pris un gros hot dog que la nana m'a chauffé et m'a emballé dans de l'aluminium qu'elle a mis dans un sac avec le modeste panini de Marie.

Je suis rentrée chez moi en bus, je ne regarde plus les gens dans le bus, je regarde mon livre, je baisse les yeux dans le métro. Je dis ça mais je n'ai jamais été aussi réjouie d'être entourée d'êtres vivants. Je crois que quelque chose se passe, que quelque chose devient alors à ma portée, mille possibilités dont je ne fais rien, mais ce sentiment naît tout seul en moi, je reste fixer mon livre et je pense à ça parce que je sais par habitude que je suis entourée d'inconnus, je n'ai pas besoin de le constater. Je pense à mes chaussettes qui montent jusqu'en haut du genou, elles sont noires avec des petits points violets, parfois je me baisse doucement pour sentir par dessus le jean la bordure de ma chaussette. Il y a de la neige qui reste collée à des endroits bizarres, c'est très aléatoire : la moitié d'un trottoir, quelques buissons, quelques voitures. De ma cuisine je vois les chemins de fer des Transiliens et alors là toute la neige y est restée intégralement, je ne sais pas vraiment pourquoi mais j'imagine que l'explication doit être simple. On pourrait ne retenir que cette image et s'imaginer que le reste est encore tout plein de neige. En marchant je pense "la neige : mot féminin", et je me dis que quelque chose de ce féminin passe dans l'idée qu'on se fait de la neige, se greffe dans la chose neige. J'ai eu un rapport très intense avec la neige cette semaine, il faut pour cela remonter jusqu'à

Lundi
Heure de trou et la cour enneigée était tentante, toute recouverte d'une poudre froide dont les particules se sont déposées une par une et délicatement comme des plumes. J'ai enfilé mes gants et j'ai dit à Julie que je sortais jouer. Soit on est plusieurs et alors on peut jouer à s'envoyer des boules de neige à la figure, soit on est seul et l'unique jeu possible se trouve être le bonhomme de neige. Une fois dehors il n'était plus question de reculer, c'était comme pour entrer dans le café : on vous a remarqué, que personne ne bouge. Je me suis mise à genoux et j'ai alors commencé à superposer des couches de neige les unes aux autres sans aucun but précis et parce qu'il n'y avait que ça à faire de la neige, j'avais aussi conscience de manquer cruellement de matériel pour un bonhomme de neige. J'ai alors entrepris de construire une tour comme avec les Kapla, d'y consacrer toutes mes forces et ce jusqu'à la sonnerie. De minute en minute elle commençait à doucement prendre de l'ampleur, il fallait penser à solidifier les bases tout en ne négligeant pas de la faire monter encore plus haut. Une classe qui était en cours me regardait depuis la fenêtre, je voyais des visages de filles impassibles devant mon oeuvre, me méprisant presque, je savais qu'au fond elles me remerciaient de ce divertissement, je connais des cours chiants comme des déserts. Des collégiens me regardaient à travers la grille qui me séparait d'eux, je faisais ce truc pour eux. J'étais extrêmement grave et me sentais traversée par une sorte de concentration, de sérieux et d'entêtement infantile. Connaissant les lycéens j'étais intimement persuadée de l'éphémère de ma tour mais j'y croyais quand même, je croyais en leur capacité à se poser des questions devant mon oeuvre et à finir par l'épargner. Plus elle serait grande, plus elle en imposerait, plus elle avait de chance de survivre. Passé 1 mètre les choses deviennent plus sérieuses, l'attention autour de moi se confirmait. Des lycéens remontaient du gymnase, pliée au travail je ne voyais que leur pied d'abord avancer lentement et ralentir légèrement pour se rendre compte de la situation. Un mec m'a demandé ce que je faisais, un autre m'a traité de gamine, des filles s'envoyaient des boules de neige, l'une d'entre elles à dit "faites attention y'en a qui travaille", et aussi "pourquoi tu fais une bite en neige ?". Quand la sonnerie a sonné il était trop tard : je m'étais attachée à ma montagne et je souhaitais la voir mourir avec l'hiver. J'ai pénétré le hall, j'ai vu Augustin et je lui ai dit de venir voir, ensuite j'ai appelé Charlette et une seconde avant qu'elle vienne j'ai vu un mec s'approcher dangereusement de ma montagne et la piétiner avec un certain amusement mêlé de fierté, il était avec un copain. J'étais détruite. Je suis allée les voir, j'avais la rage, j'ai eu la rage longtemps après, je n'ai pu me priver de les traiter de sales cons "pourquoi vous faites ça ? mais vous êtes des cons, vous êtes vraiment une bande de connards". Les mecs n'ont rien dit, ils semblaient pétrifiés, je crois que j'étais trop sérieuse pour qu'on puisse dire quelque chose. Je suis montée en histoire/géo, j'avais de la neige partout, sur la tête, sur les épaules.
Encore aujourd'hui il m'arrive de sincèrement repenser à ma tour, elle seule pouvait résister et même se fortifier avec le froid, elle serait devenue ce gros glaçon phallique dont tout le lycée se serait habitué et pris d'affection. Quand je revois ces bandes de neiges disséminées un peu partout je suis désespérée à l'idée de ne pouvoir rien en faire, cela m'enchante, je trouve ça très beau, quand on regarde par la fenêtre c'est tout d'un coup plus lumineux, comme s'il y avait du soleil, seulement le fait qu'on ne puisse rien faire de durable avec cette neige me désespère assez. Je n'ose plus la toucher, je me dis à quoi bon.

The Walkmen - Seven years of holidays (for stretch)