dimanche 29 mars 2009

Je me souviens de l'espagnol, j'avais choisi la place la plus au soleil et le soleil tapait sur ma copie, sur mon dos, sur mes cheveux, l'encre de mon stylo plume resté lui aussi au soleil se fluidifiait et coulait comme de l'eau sur ma copie, j'ai dû changer de stylo. J'avais apporté des caramels au beurre salé pour me divertir entre deux phrases, je les ouvrais et les laissais chauffer au soleil avant de mordre dedans, ça ne faisait pas de bruit, ça collait aux gencives. Avec les nénettes qui passaient le concours général ça faisait que tout les bacs blancs étaient décalés d'un jour et que la philo serait mardi : soulagement à l'idée de l'obtention d'un jour de plus de révisions/de répit, c'est selon.
La philosophie me terrorisait, je n'étais vraiment pas bien, trop sérieuse dans mes révisions, devant ma copie, j'étais prise dans le sérieux, des révisions jusqu'au rendu de la copie j'ai trouvé ça chiant et trop austère et j'ai essayé de retenir ce que j'éprouvais, une sorte de fatigue blanche et cérébrale, pour pouvoir l'identifier dans des cas ultérieurs, ce qui arriverait bientôt. Je voulais que ça finisse, quelque soit la note. Et puis non, la note m'importe, puisque je veux faire ça, puisque j'ai décidé que mon travail deviendra déterminant. On décide toujours du degré d'impact de nos actions, ici de notre travail. Ne pas réviser c'est dire : cela n'a pas d'impact.
Après l'épreuve on se retrouve avec les copines avec qui j'ai pris la presque-habitude d'aller au Chistera manger des sandwichs pour 3,50€. La femme blonde qui me sert mon café du vendredi nous les amène coupés en deux dans des assiettes pas plus grandes que des soucoupes avec une carafe d'eau et des verres façon cantine. On mange entre les hommes d'affaires du coin qui on les moyens d'un hamburger-frites et d'une mousse au chocolat, on lorgne un peu sur leurs assiettes mais on reste satisfaite du goût de la simplicité, on a l'impression qu'on ne pourrait vivre uniquement de ça, d'amitié, de baguette et de jambon de pays. Il y a quelque chose dans la baguette d'assez authentique, dans sa composition très simple, sa couleur, la rugosité de sa surface qui fait penser à des bras d'artisans.
On discute de la philo, on rigole bruyamment, on révise quelques connecteurs logiques en anglais, le manuel prend de la place sur la table, on paye l'addition. Je passe au Franprix acheter un paquet de biscuits pour 40 centimes et on retourne au lycée pour le bac blanc d'anglais. Je croise vaguement Monsieur Delmas qui nous dit bonjour en allant fumer. Du point de vue sociabilité et plaisir les semaines de bac blanc frôlent le degré zéro et je croise l'homme avec le sentiment que je ne le reverrais pas avant très longtemps. Je suis seule engluée dans mes révisions, la nuit et le jour. Charlette le dit "j'ai dû vous adresser 4 phrases maximum pendant cette semaine", moi je dis "ouais c'est une semaine chacun pour sa gueule, c'est horrible". L'envie d'aller au cinéma ou de finir un livre se fait pressante. Une fois chez moi je travaillais dans la salle à manger avec quelques feuilles, mes cahiers et un mug de café, à la fin mon espace de révisions finissait obligatoirement par sentir le café froid. Je m'autorisais une petite pause dans mes révisions au moment des Simpsons sur Canal+, parfois je regardais ce qui précède soit l'Album de la semaine et ce qui suivait, soit le JT et même le Grand Journal. J'ai vu la tête d'Isabelle Adjani, je la trouve intelligente, ça fait du bien, par contre sa face est immonde, on dirait Mickey Rourke.
Parfois certains profs qui surveillent insistent pour que l'on soit placés par ordre alphabétique alors je me retrouve derrière Iba avec ses deux plaquettes de chocolat, ses mandarines, ses bouteilles d'eau. Il avait l'habitude de prendre avec lui deux bouteilles d'1,5L Volvic que j'appelais pour moi-même "les Twin Towers", cette semaine il n'en prend plus qu'une grande et une petite, Julie me dit "il commence à comprendre", j'avais pensé la même chose. Quant à moi j'ai pris des caramels et une poignée de bonbons fruités ED que je n'aime plus à force de les avoir aimer. Les bonbons sont trop bon marché pour que l'emballage soit facile à ouvrir (il y a un lien évident entre le prix d'un produit et son emballage plus ou moins facile à ouvrir) aussi je les ouvre avant que commence l'épreuve, j'en passe quelques uns à mes copines, les bruits d'emballage sont tous singuliers et je reconnais celui de mes bonbons, aussi je me retourne à chaque fois que j'entends une de mes amies se démener à en ouvrir un.

Au moment de signer la feuille de présence je me souviens avoir ressenti une sorte de reconnaissance à l'égard d'un destinataire encore assez vague : l'éducation nationale ou plus directement mes profs en général, et toutes les équipes pédagogiques qui m'entourent depuis que je suis un être scolarisé. Merci à eux de prendre au sérieux ma présence aux épreuves, merci de m'octroyer un numéro de candidat, de m'intégrer à une classe, d'appeler ma mère à son travail quand je suis absente, merci de me réclamer, de corriger mes copies, tout ça m'a fait me sentir existé. J'ai trop longtemps vécu dans un système scolaire pour avoir oublié ce que cela faisait de ne pas y être, j'ai au maximum vécu deux mois sans école et j'en ai vu les désastres et l'ennui, la perte de soi ressentie, le manque écrasant d'autonomie, de rythme, d'actions. Ici on se sent entouré et des gens nous demandent à ce qu'on justifie nos absences, autant les professeurs que les amies, à rendre un travail, à prendre les transports quand il fait encore froid et nuit, et c'est au terme de cette existence réglée et choyée que je me rends compte que je n'ai pas envie d'en sortir, qu'en me livrant à moi-même on m'abandonne. J'ai le sentiment d'effectuer une marche arrière, d'en revenir à un stade encore vierge de la vie, dépourvue de structure sociale, d'obligations, comme si 18 ans après, toute cette discipline et cette organisation imposées avaient dû finir par s'intérioriser. Bien au contraire, elle nous reste profondément extérieure, posée à côté de nous, et qu'elle a pris l'habitude de se perdre en vacances ou plus simplement, le temps d'un week-end. Je ne sais pas ce que je vais faire de moi, et ce vide devant moi est au mieux inconfortable, au pire, juste terrorisant. J'ai regardé autour de moi les élèves, eux aussi étaient engagés jusqu'au cou dans ce qui allait suivre, il ne s'en rendait pas compte, il vivait l'épreuve avec pour seule difficulté de mobiliser leurs connaissances. Dans quelques mois nous serons ensemble dispersés dans les universités, écoles et lycées de l'Ile-de-France et j'imagine que nos adieux se feront sans nous, c'est à dire qu'un jour arrivera où je les verrais pour la dernière fois sans le savoir.
The Magnetic Fields - Too Drunk To Dream

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