lundi 31 août 2009


Mon père est rentré à 2h du matin et il m'a dit qu'il venait de recevoir un sms et qu'Emile et maman ne rentraient pas demain à 20h mais ce soir à 5h du matin, il avait donc 2h pour dormir et si j'étais encore réveillée d'ici 5h et que lui non et bien je devais le réveiller. J'étais toute excitée, je les imaginais dans la fraîcheur de l'avion (qui est une chaleur du point de vue de la température extérieure) et dans la nuit, puis se lever des sièges, les membres tout engourdis, se demandant tout en se dirigeant vers la sortie s'ils avaient quelque chose à piquer dans l'avion, les couvertures ou les masques pour dormir. J'étais au salon, mes livres, mes dvd, ma bouffe, mes fringues, mes chaussures tout ça autour de moi, il fallait que je range tout et que je réintègre ma chambre mais j'ai attendu que mon père parte les chercher (je l'imaginais dans la chaleur de la voiture, avec un peu de radio, les yeux innocents de la fatigue, la route émouvante qui conduit jusqu'à l'aéroport CDG, le Stade de France) pour commencer: d'abord ranger ma chambre pour pouvoir y ramener le bordel qui était au salon, j'ai sorti l'Ajax et allumé France Inter, les émissions estivales disaient au revoir et à l'année prochaine. Je déteste ranger et nettoyer le jour parce que la lumière du jour c'est comme si elle vous montrait cruellement du doigt où se trouve la saleté, c'est un peu désespérant, comme quand je regarde la peau de mon visage à la lumière du jour, j'y vois mille irrégularités que je ne vois pas la nuit et je me dis que jamais aucun garçon ne pourra aimer ce visage pourri. La nuit c'est bien, on croit que tout est propre.

A 6h j'avais pris un Donormyl de chez mon père, je redoutais un peu d'être levée quand ils seraient là, ça faisait un mois que je ne les avais pas vus, j'appréhendais bêtement en me sachant capable de relativiser (c'était ma mère, c'était mon frère), je ne savais pas vraiment quoi faire : rester éveillée pour leur dire bonjour et manger des trucs avec eux ou dormir, finalement je me suis endormie et ce n'est que vers 15h que j'ai distingué le haut Gap de ma mère, elle était debout devant moi, à cause de ma myopie et de la fatigue de mes yeux je ne l'ai pas très bien vue mais je savais que c'était elle parce qu'elle était rentrée et que je reconnais sa voix qui m'appelle mumu. A chaque fois les gens bien réveillés considèrent les gens qui viennent d'ouvrir les yeux comme parfaitement aptes à entamer une conversation et à réagir alors que je me sentais encore plutôt du côté du sommeil que de celui de la veille. Après lui avoir fait la bise les yeux lourdement fermés, elle m'a offert mes cadeaux à même le lit, c'est toujours plutôt marrant, comme elle ne trouve jamais rien sur les lieux de voyage elle me prend ce qu'elle trouve dans les boutiques Duty Free, des parfums le plus souvent, que je vide sur mon cou de façon indifférente, sans me préoccuper de l'odeur. Je me suis levée, je suis allée serrer la main d'Emile, je connais son manque d'enthousiasme dans tout ce qui est retrouvailles et j'essaye le plus souvent de le surprendre dans sa crainte en adoptant des réactions on ne peut plus modérées. C'est très reposant de pouvoir se permettre ça avec quelqu'un. J'ai mangé des tartines devant ma mère, je crois qu'elle mangeait avec moi et que nous discutions, je ne la voyais toujours pas distinctement. Au fur et à mesure qu'elle vidait les valises elle me sortait les cadeaux que ma famille me destinait, des cadeaux que je n'aime jamais et que j'accueille par un "oh c'est gentil" qui n'espère plus rien. Quand ma grand-mère me demande ce que je veux comme cadeau au téléphone je lui dis des pyjamas, des pyjamas pour l'hiver.

Plusieurs fois dans la journée elle m'aura demandé "t'es contente qu'on soit revenu? On t'a manqué? Radio Orient ça t'a manqué hein", je trouvais ça marrant, je ne savais pas qu'elle était capable de recul sur elle-même à ce point, oui Radio Orient m'avait peut-être manqué. Dans une famille nombreuse on apprend très bien à ne pas pouvoir toujours faire ce qu'on veut, aussi je dois demander la permission si je veux mettre France Inter, j'ai dû longtemps partager un ordinateur avec Emile et Myriam, à partager -encore maintenant- ma chambre avec elle avec tout ce que ça suppose de compromis, de privations pour permettre une cohabitation sans heurts.

Le soir je m'étais habillée pour faire un truc et puis progressivement j'ai accepté de ne pas sortir, pas aujourd'hui en tout cas, je pouvais me le permettre, avant c'était plutôt le contraire, je ne sortais pas de la semaine et je m'autorisais à sortir un jour. Quand j'y repense rester 4 jours à la maison me paraît maintenant infaisable, presque irréel. C'est dans ces détails qu'on constate le progrès, du moins le changement. Je ne savais pas quoi faire, mettre un film en marche sur mon ordinateur me paraissait le bout du monde, toutes activités me paraissaient être le bout du monde, ma volonté n'était à la hauteur de rien. Je suis entrée au salon, Emile était allongé sur le lit et ma mère était sur le canapé avec son ordinateur sur les genoux. Je leur ai dit qu'il y avait Pretty Woman à la télé, je n'avais jamais vu ma mère se réjouir autant qu'un film passe à la télé, ça a toujours marché comme ça avec elle, elle fonctionne au souvenir plus qu'à la curiosité. Emile a mis TF1, je sais que je me suis allongée pas trop loin de lui avec l'intention de rester un peu, et puis tout bien réfléchi je n'avais rien de mieux à faire alors je me suis laissé porter par l'histoire avec ma mère derrière moi que je savais attentive, je craignais que l'histoire la fasse encore rêver. J'ignore quand Emile est parti dans sa chambre, je crois que c'était au moment où ma mère lui a rendu la clé USB pour internet. J'imagine que toutes les deux avions prévu de faire autre chose de notre soirée mais malgré une connaissance aigue du film nous restions subjuguées et dans l'incapacité de faire autre chose, comme ça peut arriver pour un livre: on se fixe jusqu'à ce chapitre puis on a envie de savoir ce qui se passe dans le chapitre suivant, puis dans le suivant, et enfin on arrive au bout du livre. Ce qui aussi intéressant pour moi c'était de revoir ce film des années après, alors que je me suis disons intéressée au cinéma et que de nombreuses images me sont restées au fond des yeux. Je reçois tout autrement, et c'est ça qui fait qu'on peut relire les livres, revoir les films, parce que c'est nous qui changeons et que les histoires se déploient autrement suivant ce qu'on a compris et appris de la vie, du cinéma, de la littérature. Je partais avec un mauvais a priori, celui dont j'ai déjà parlé et qui fait que je renie ce que j'aimais avant, et en fait le film était très bien, assez subtil et même modéré dans l'enthousiasme général que suppose une fin heureuse. Julia Roberts a longtemps été l'actrice préférée de ma soeur et de ses cop's, moi elle me répugnait, sa peau et sa faiblesse me répugnait, sa façon de marcher comme un mec, longtemps ma mère s'en est plainte tout en se réjouissant de trouver un défaut à cette femme. Ma mère s'est levée pour prendre un truc à manger, elle venait d'arriver et n'était pas trop au courant du contenu du frigo qui en son absence était devenu mon territoire, elle a fait avec mes produits, elle a fini mon sac de carottes râpées/céleri/chou blanc, je pouvais l'entendre mâcher derrière moi parce que l'ensemble est plutôt bruyant, ça ne me gênait pas, ça me rappelait sa présence, je n'avais aucune raison de ne pas être apaisée, je baignais dans une chaude quiétude possible qu'en famille. J'étais au fond bien contente qu'ils soient revenus, tout était plus grave sans eux et maintenant tout a repris de sa légèreté, de sa bonhomie, la famille c'est encore soi-même, c'est une présence sans enjeux, sur laquelle on peut se reposer.

Nobody Knows de Hirokazu Kore-eda

Girls - Hellhole ratrace

samedi 22 août 2009

Les tâches ménagères, un peu comme tout, ça prend le temps qu'on leur accorde. Si on veut que ça dure trente minutes ça durera trente minutes, si on veut que ça dure un week-end ça peut facilement durer un week-end et alors on en vient à nettoyer l'intérieur des serrures jusqu'au balais lui-même et des conneries du genre. La dernière fois, impossible de dormir, j'ai donc attendu que mon père se rende au travail pour me lever et nettoyer le sol de la cuisine en écoutant Esprits critiques sur France Inter. C'est drôle, ça ne changera jamais et c'est plutôt touchant, cette vieille histoire entre mon père et moi qui fait semblant de dormir. Je crois que j'ai passé plus de temps à faire semblant qu'à dormir vraiment. C'est un jeu à sens unique, parce que s'il savait ce ne serait plus un jeu, il faut forcément une victime à maintenir dans l'illusion, une victime éveillée qui penserait à la faiblesse de l'endormi que nous ne sommes pas. Avant il y avait bien une raison de faire semblant : c'était pour éviter qu'on m'engueule, aujourd'hui je ne sais pas, peut-être l'habitude de la crainte. La dormeuse restera mon plus beau rôle, cela suppose un peu de créativité dans les poses, un truc un peu bohème et incompréhensible comme peuvent l'être les endormis.

Joyeuse, donc, de pouvoir enfin écouter les émissions que je rate faute d'être disponible à ces heures-là, et pour cause : à l'heure d'Esprits Critiques je suis déjà loin dans mon bus direction le lycée, sinon c'est que je dors (ou fais semblant?). Un sociologue de l'art parlait, me passionnait, répondait à mes questions les plus intimes, des questions aussi informulées que parfaitement ancrées en moi.

Décrasser un sol, voilà ce que j'appelle une tâche concrète et qui ne peut être que source de satisfaction, de répit. On travaille à restituer une surface à son état originel, et la satisfaction qui en découle n'est pas une seconde émoussée par l'idée que cette surface sera de nouveau salie. Il faut absolument que je recopie un de ces jours de jolies pages sur les tâches ménagères lues dans un essai qui s'intitule Les gens de peu et qui m'a révélé beaucoup de choses sur ma mère.

Rigolo comme le simple fait d'acheter un billet pour une nuit Tarantino vous rend plus accessible, plus "coul" peut-être aux yeux des autres. Le monde s'ouvre à vous. Le caissier de la billetterie de la Fnac Saint-Lazare semblait vouloir discuter vaguement, je ne suis pas contre, je dis juste que si j'étais venue acheter un billet pour un spectacle de Robert Hossein le départ de discussion n'aurait jamais eu lieu.

J'ai fait croire à mon père que j'y allais avec une copine, sinon il aurait eu peur. Premièrement que je sorte si tard le soir et toute seule, normal, et deuxièmement il n'aurait pas compris pourquoi j'accepte d'y aller seule, comment me vient l'idée d'y aller si je suis seule. Dans certains cas et pour certaines personnes la solitude est inquiétante, un peu bizarre, un peu honteuse, moi je me force seulement à l'apprivoiser, à la comprendre comme un état naturel.
Il doit en avoir marre qu'à chaque fois qu'il me demande ce que je fais de mes journées je lui réponde "je vais au cinéma", il lui est arrivé de me dire "mais y'a plus de films à voir là, t'as tout vu". Je lui ai déjà dit que j'allais dans d'autres cinémas où repassent régulièrement de "vieux films" (je n'aime pas cette expression, elle est porteuse d'un imaginaire mensonger légèrement pompeux). S'il le voulait vraiment, je garde à sa disposition les tickets de cinéma avec titres des films et dates, on pourrait aisément reconstituer le mois d'aout dans sa totalité. Quelque part ça me rassure d'être en possession de preuves aussi irréfutables, c'est presque trop simple.
Je l'attends.

Réveillée à 15 heures, j'ai fait un peu de ménage, beaucoup de glandage, puis on regonflé les roues de mon vélo et je l'ai enfourché pour aller nourrir le chat de Marie, ça m'a fait du bien de me dégourdir les jambes, de répéter mécaniquement un geste censé vous purifier le corps, la tête, un peu tout. C'est une répétition comme un rite, qui a quelque chose de religieux. Avant de partir pour ne revenir qu'au petit matin j'ai bien pris soin de ne rien oublier, quelques barres de céréales anti gargouillements cinéphiliques (on devrait inventer une marque, genre Cinésnack avec des emballages et des textures absolument silencieuses) qui vous laisse toute confuse une fois que les lumières de la salle se rallument, une bouteille d'eau, des mouchoirs, un gilet comme j'imaginais qu'ils allaient s'emporter sur la clim.

Je suis allée voir Là-haut pour me chauffer un peu, ça faisait longtemps que je n'étais pas allée dans une salle UGC et il est difficile de ne pas résister à l'envie de souligner le côté impersonnel, un peu usine du dispositif, avec la caissière dont le regard laisse deviner qu'elle n'est encore plus trop loin d'avoir fini son boulot. Mais c'est tellement prévisible de ma part que je préfère ne pas développer. Je me snobifie lentement, je me dégoûte, parce que ça s'accompagne forcément de reniement de ce que j'ai été.

Je vais voir les Pixar sans jamais me poser de questions, il faut les voir, même sans grande envie, on sait qu'on en ressortira convaincu. Les couleurs, les images, la morale tout est très beau dans Là-haut et très doux aussi, comme un sachet de bonbons coca cola bleu et rose avec le sucre qui reste au fond. L'humour est subtilement dosé à l'inverse de l'Age de glace qui n'est rien d'autre qu'un sac à gags sans épaisseur. Il y a des ballons, des milliers de ballons de toutes les couleurs, c'est d'une beauté toute bête mais qui fonctionne affreusement. Et au fil du film on voit ce gros bouquets s'affaisser, se déplumer, on craint qu'il ne disparaisse, que le charme de l'accumulation soit rompu. J'ai trouvé la morale très forte, très élaborée et très bien amenée tout le long du film, ce n'est pas juste un prétexte pour sortir les ballons mais bien un message sincère que l'on colore un peu, que l'on atténue afin de pouvoir le servir aux enfants. Je me mets à la place d'Emile et si j'ai été un tant soit peu attentif j'en ressors forcément modifié. Un jour une situation bien précise fera écho à ce film et le lui remémorera, le cinéma est une bombe à retardement. A son retour j'en discuterai avec lui autour d'un bol de Miel Pops.

Il faudrait se pencher sur la morale de tout les Pixar. Par exemple, prenons Toy Story, chef-d'oeuvre inégalé des studios Pixar où nous assistons au passage à la vie adulte de Woody qui apprend à mettre son ego de côté pour se plier à une sorte de devoir de fraternité envers Buzz l'éclair, devoir que tous les autres jouets ont d'emblée à son égard. Si Woody est bien l'un des héros de Toy Story c'est justement parce qu'il est le seul a posséder de l'amour-propre et à ressentir âprement des sentiments aussi forts que la jalousie, la nostalgie d'une époque où il était le jouet préféré d'Andy ou encore l'abandon. C'est un personnage très tourmenté, qui a d'abord les actes que lui inspirent ses sentiments (il fait des crasses, il vanne grave), s'ensuit la prise de conscience, devant les conséquences de ses actes qu'il ne contrôle plus, de son immoralité qu'il tentera de renverser en allant sauver Buzz l'éclair.

En sortant je me suis attablée à un café où j'ai aimé profiter de l'occasion pour commander un café crème, moi qui m'interdit normalement le café en soirée pour ne pas aggraver mes difficultés à m'endormir. J'avais d'abord passé la nuit dernière sereinement en me disant que concernant l'heure du coucher, le plus tard serait le mieux vu qu'une nuit blanche m'attendait le lendemain. Café et veille jusqu'à pas d'heure, voilà mes règles de vie idéales.

Au Reflet il n'avait plus de crumble ni de fondant au chocolat, j'ai toujours vu Marie et Cécilia en commander devant moi et me laisser en goûter un échantillon qui me donnait un éclatant aperçu de ce qu'elles étaient en train de déguster et rendait insipide ce que je pouvais avoir devant moi. J'ai revu mes exigences à la baisse et j'ai demandé un Coca light avec un sourire qui voulait dire "oui c'est ce que je commande une fois tout les deux jours quand je viens ici, je voulais changer mais vous ne m'en donnez pas l'occasion". J'espère qu'il a compris, par ailleurs ce serveur est étrangement sublime, avec une voix, comment vous l'expliquer...si un fondant au chocolat avait une voix il aurait celle-là.

The Servant de Joseph Losey

jeudi 20 août 2009


Je m'en veux assez fortement de ne pas accrocher à Faulkner, la lecture d'un livre n'a jamais été aussi laborieuse, pourtant partout sur le net cela crie au chef-d'oeuvre concernant Le bruit et la fureur, les lecteurs expliquant s'être heurté eux aussi à l'incompréhension des procédés utilisés par Faulkner mais, paraît-il, c'est une fois le livre terminé que l'on prend conscience du chef-d'oeuvre que l'on vient de lire. D'accord, soyons donc patients. Pour la lecture il faut pourtant fonctionner à l'instant présent, le plaisir doit être immédiat. Le livre, tu l'aimes ou tu le quittes.

Croisé Adrienne Pauly à la librairie la Hune, je l'ai reconnu de dos, c'était improbable. Elle repartait avec deux énormes sacs sous doute remplis de livres, c'était assez fou. Elle portait une robe à pois, d'assez haut talons compensés en corde avec le dessus rouge et une sorte de veste en satin avec les manches élastiques façon veste de sport sur lesquelles passaient deux bandes blanches, un sac noir American Apparel je crois, le format pour ordinateur, puis les cheveux ébouriffés et des Wayfarer sur la tête. Ces sacs ont sonné quand elle est sortie, le gérant les lui a repris pour régler ça, ils semblaient bien se connaître. Cette mésaventure des sacs qui sonnent m'a offert quelques secondes de plus pour l'observer. Le plaisir des images.
Je ne connais rien de cette fille, je suis juste tombée sur le clip de "J'veux un mec" un soir d'insomnie et déjà elle m'agaçait en même temps qu'elle m'attirait. J'aime son look, son modèle de féminité qui sied parfaitement à son petit corps maigre, et ses cheveux qu'elle ose garder n'importe comment sur la tête. Elle semble chez elle dans son corps, à l'aise, avec un côté jem'enfoutiste assez calculé pour que justement cela ne fasse pas calculé, bref, une somme de détails qui rend l'ensemble charmant. "J'veux un mec" est quand même une très bonne chanson et me suffit assez pour ne pas nourrir de curiosité à l'égard du reste de sa discographie.
Le truc assez fou c'est que rien dans mon comportement ne présageait que je la connaissais, j'imagine que ça lui aurait fait plaisir de savoir que j'étais au courant de ce qu'elle faisait mais, faut de trouver une manière subtile de le montrer, j'ai préféré faire l'ignorante. Comme pour Edouard Baer à Arles, n'est-ce pas les filles?

08H46 du matin, encore levée. J'ai voulu commencé Boulevard Saint-Germain de Gabriel Matzneff pour "voir ce que ça donne", je n'ai pu m'arrêter qu'au bout de 100 pages. Déjà avant son dandysme revendiqué m'exaspérait, cette façon bien à lui de dire et de prouver qu'il fait précisément ce qui lui plaît me fascine en même temps qu'elle me dégoûte profondément. Je jalouse Gabriel Matzneff et les moindres efforts qu'il semble avoir fourni pour avoir eu une telle vie, aussi bien remplie, aussi délicate, aussi obscène dans l'accomplissement de ses plaisirs. Qu'il sache simplement à quel point son sort relève de la chance et donc de l'exception et qu'il est idéal d'exiger comme principe pour soi-même celui du plaisir et du bon goût mais qu'on ne saurait le vouloir pour les autres sans négliger une série de facteurs qui y font opiniâtrement obstacle. Reste que je le lis toujours autant compulsivement.

Par l'écriture on arrive, Gabriel Matzneff arrive à tout justifier: on a jamais autant accepté l'attirance d'un adulte pour "les moins de 16 ans". Ce que l'on pourrait appeler pédophilie n'est en fait qu'obéissance aux exigences de l'idée du beau.

En fait, j'exécute, je regarde, je lis de façon scrupuleuse tout ce que M. Franck m'avait conseillé ou semblait apprécier: je regarde des films de David Lynch et de Louis Malle, je refuse d'abandonner Faulkner, j'ai décidé de penser comme lui concernant Woody Allen, je m'évertue vainement à apprécier Jacques Tati.
Je pense que notre génération manque trop d'innocence pour apprécier à sa juste valeur Jacques Tati. Je me souviens de cette petite fille dans la salle où j'étais allée voir Jour de fête, elle ne devait pas avoir plus de 7 ans et était assise au milieu de ses parents quelques rangées devant nous. Elle rigolait et rigolait sans retenue devant les gags qui ne faisaient que moyennement rire les adultes de la salle mais qui contaminés par la joyeuseté sincère de la petite fille et de sa soeur plus jeune avaient fini par rire aux éclats non pas à cause du film mais de la magie et de la pureté retrouvées du rire de ces deux enfants. Autant que nous sommes je pense que nous étions conscients d'être face à ce que Jacques Tati aurait voulu, avec ses films, précisément provoquer.

photo : Adieu Philippine de Jacques Rozier


dimanche 16 août 2009

Que faire de 3,40€

Aujourd'hui au Relay, j'étais à la recherche du Positif à la plage. Une fille aux cheveux rouges se tenait devant les étalages avec dans ses mains un magazine ouvert sur une page avec la photo d'une fille en noir et blanc où l'on pouvait lire en gros "Judy Minx". Tout de suite je me dis, merde, Judy Minx, je connais. La fille aux cheveux rouges semblait s'attarder sur l'image, j'ai même cru la voir envoyer un sms ou prendre en photo le magazine, certainement une amie de Judy Minx. Cette Judy Minx je l'ai croisée sous son vrai nom une première fois à une soirée de nouvel an où nous nous sommes temporairement liées d'amitié le temps de discuter, je me souviens qu'elle voulait me rencontrer parce que j'avais entre autres offert à Camille, (la fille qui m'avait alors invitée) l'essai de Virginie Despentes King kong theory, on en avait parlé. Elle avait, tout comme moi, retenue ce que Despentes disait du viol, comme quoi il fallait adopter une attitude d'indifférence face à ça, et que personne n'avait jamais dit ça. Je sais qu'elle est féministe, qu'elle fait aussi des photos de charme sinon plus et qu'elle est déjà passée sur ce blog. En tout cas je ne sais pas, cette histoire est anodine comme le sont toujours les histoires de coïncidences, reste que ça m'a fait tout drôle, non pas que le monde soit petit mais il semble que de ses petites mains faiblardes, il a à notre égard des intentions en forme de clin d'oeil, jamais assez importantes pour que ça puisse intéresser quelqu'un mais tellement bizarres qu'on y pense à deux fois avant de passer à autre chose, elles sont là histoire de nous rappeler qui est le chef. Toujours pas trouvé le Positif à la Plage, j'ai pris Le Monde à la place, ça m'occupera au café.

Sur le chemin qui mène au Champo, un homme habillé en civil, c'est à dire sans t-shirt "médecins sans frontières". Il m'a repéré, il va m'arrêter, le trottoir est vide, je suis cuite et je ne saurai pas dire non. C'est un étudiant à l'école des Beaux Arts de Paris qui veut me vendre ses cartes postales crées par des étudiants, globalement assez moches mais il est plutôt gentil et me fait des blagues "Courbevoie...de chez toi tu vois le Mont Blanc nan?". Je lui demande ce qu'il va faire de l'argent, il me dit que c'est pour les étudiants, ça aide à acheter des appartements, etc "et puis bon tu dois le savoir, on est gros consommateurs d'alcool et de drogues". Je lui dis "je pense pas que je vais vous en prendre, je suis en train de vous faire perdre des clients", il me dit que ce n'est pas des clients, que c'est pas grave, qu'ils discutent avec les gens, qu'il fait ça comme ça, que j'ai bien quelques pièces à lui donner. Le relou. Je lui donne 1€ sans tenir pour autant à prendre une carte postale, il me dit que si, je peux en prendre une, je lui dis "je vous dis stop quand j'en vois une qui me plaît", ah ah, je choisis un peu comme ça, elles se ressemblent toutes, égales dans leur laideur et qui intérieurement me font dire "putain on apprend ça aux Beaux Arts". Il me fait jurer sur Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse, "elle est mignonne Valérie Pécresse, ah j'aime bien Valérie Pécresse" que j'en prendrai soin. Je le jure.

Aujourd'hui au café une abeille est rentrée dans ma bouteille de Coca Light. Ne sachant pas quoi faire j'ai appelé le serveur: selon moi il fallait m'en servir une autre, c'était la procédure à suivre.
Excusez moi monsieur il y a une guêpe dans ma bouteille, (elle faisait la planche à la surface du liquide cette connasse)
pour que je vous l'enlève il va falloir vider la bouteille,
il a versé le coca dans la bouteille avec sur l'embouchure un bout de sous-verre en carton assez gros pour pouvoir retenir la guêpe et faire couler le liquide.
D'abord c'est pas une guêpe c'est une abeille
Oh c'est pareil
Non c'est pas pareil
Il est d'habitude plutôt avenant mais il semblait un peu énervé, peut-être parce que j'aurai bien pu le faire toute seule, mais manquant de sang-froid et très ennuyée par cette...abeille je n'ai pas eu le temps de mettre en marche mon ingéniosité et j'ai préféré avoir recours à la présence protectrice du garçon de café. Je l'ai remercié, puis en venant nettoyer les tables de part et d'autres de la mienne il a commencé à faire des "bbbzzzzz", visiblement en forme et pas du tout énervé.
je suis désolé mais maintenant je suis o-bli-gé de vous embêter
non mais c'est pas grave, continuez
Il m'avait déjà la blague un autre jour, cette fois la guepabeille n'avait fait que nous embêter Cécilia et moi et il avait été alerté par la soudaine agitation de notre gestuelle.
Une deuxième abeille commence à dangereusement danser autour de mon verre, frôlant le liquide de ses saloperies de pattes. Le serveur n'étant pas loin, je lui dis
elles viennent tout le temps chez moi,
ça c'est à cause du sucre [ je me suis souvenue de Cécilia qui me prévenait de l'odeur trop sucré de mon nouveau shampooing qui ferait venir les insectes sur ma tête]
c'est le sucre
mais c'est du coca light. Il est déjà reparti. Laissant planer un gros mystère autour du Coca Light.
Il est revenu faire sa petite blagouse, puis il est revenu une troisième fois pour me prendre l'addition, je n'ai pas bien compris ce que ça signifiait, je l'imaginais au mieux me ristourner 50 centimes, j'avais tout de même été privée d'un fond de 3 millimètres peut-être. Il est venut me dire qu'il m'offrait le coca, que ça lui faisait plaisir, je crois qu'il m'a touché l'épaule. Je suis restée incrédule, peu habituée à ce genre d'attentions, d'actes libres et gratuits qui à eux seuls réhaussent la valeur de la journée. Rien ne le poussait à faire ça surtout qu'il s'agissait bien là d'une catastrophe naturelle, disons plutôt animale. Cela m'a mise soudainement de bonne humeur, je suis tout de même partie à ma séance de ciné en laissant 1€ de pourboire. Si seulement on pouvait connaître à l'avance les jours où l'on va nous offrir un verre, on pourrait entreprendre de sortir même les jours sans argent. C'est comme ça.

jeudi 13 août 2009

En entrant dans l'appartement "le vertige du retour" m'a pris, cette sensation qui normalement ne se manifeste qu'après un mois de vacances, mais jamais après des vacances de courte durée. Cela se traduit par le sentiment d'entrer dans un endroit à la fois bien connu mais qui, par le temps que l'on a passé loin de lui, s'est paré d'un voile d'étrange nouveauté. Je connais les gestes et les façons de faire avec ce monde, cette chambre c'est la mienne, mais j'ai tout de même le sentiment de devoir faire quelques séances de rééducation. C'est en résumé, la conscience la plus poussée, le regard le plus extérieur que l'on puisse avoir sur ses propres affaires. Cela ne dure pas longtemps, et j'ai toujours quêté ce vertige.

Il y a toute une petite danse d'habitude qu'en six jours j'ai eu le temps de perdre quelque part, de remplacer par d'autres. J'ai l'impression d'être partie un mois, certainement à cause du fait que je faisais chaque jour beaucoup de choses, que je m'endormais bourrée de nouvelles images, de nourriture et de soleil, ce qui ne m'était pas arrivée depuis longtemps. Alors ce matin, je ne sais pas, je me suis levée et j'ai feint devant les objets et les meubles de savoir quoi faire, de maîtriser la situation. France inter, le café, le retour au lit, un peu de rangement, un film, une vague sortie de prévu tout ça dans un appartement sérieusement déserté, non pas la famille au travail mais dans d'autres pays; à l'exception de mon père. On se rend finalement compte que c'est très facile de reprendre le film là où on l'avait laissé, c'est plus dur, peut-être, de se dire que ce film dura grosso modo un mois et demi. Combien de personnes qui ne partent pas en vacances? Que peuvent-elles bien faire de leur journée? On suppose l'ennui partout et des journées sans scénario, sans liens entre elles sinon cet ennui et qui tombent dans l'oubli du sommeil.

Ma mère n'a même pas rangé ma chambre. Pourtant, elle est toujours partie au Liban en rangeant la maison en mode maniaque: le lit était défait, le dvd de Hellboy et des mangas trainaient par terre, Emile n'a même pas eu la délicatesse de dissimuler les traces de son passage, quel con quand même. Cela m'a un peu irrité, j'aime rentré chez moi avec la chambre débarrassée de vécue, on sent que comme ça, on peut tout recommencer sainement. J'ai de toute façon assez vite compris qu'il allait me falloir remédier à ce vrai-faux bordel, c'est à dire à ce qu'on appelle plus communément l'accumulation. L'accumulation est dangereuse en ce qu'on décide de la prendre et de l'assimiler dans l'ordre de la pièce: c'est comme ça que j'arrive à prendre ma pile de livres comme faisant partie de la chambre alors que ma mère la considère comme du désordre. Plus largement, c'est aussi comme ça que certains arrivent à voir de l'ordre là où d'autres ne perçoivent que du désordre. D'abord me débarrasser de certaines fringues, pour accueillir les futures, puis les chaussures, les sacs, et la paperasse qui s'accumulent, mélange de prospectus pour des films, des expos, des trucs de mon année de terminale, de papiers récoltés à la Sorbonne, de facture de l'OFUP version 2 impatiente d'être réglée ou de la maison des examens m'annonçant que pour réclamer des copies il va falloir attendre la mise en place d'un nouveau logiciel sur internet, etc. J'avais bien aimé cette lettre d'ailleurs, à défaut d'en recevoir, je cherche la petite attention dans la paperasse robotisée. Donc un ménage assez sérieux, qui suppose que l'on se détourne des couches superficielles pour plonger au coeur des nappes phréatiques du désordre - le Grand ménage, la nouvelle vie. Le vrai nettoyage se veut efficace et sans états d'âme, c'est comme ça qu'on se retrouve à jeter des papiers qui, lors d'un premier rangement, nous paraissait précieux et regorgeant de souvenirs, ou à donner des vêtements alors qu'on ne s'imaginait pas vivre sans eux. C'est comme ça, on est en fait, criblé de désirs passagers et le monde que l'on compose autour de nous en est un précis témoignage.

Je viens de me rendre compte que si je n'étais pas allée à cette séance de cinéma d'Une journée particulière je n'aurais certainement jamais eu l'occasion de voir le film, alors que je l'ai aimé avec étonnement, que je l'ai même adoré, qu'il m'a fait plaisir de la façon la plus sincère et simple qui soit, à la fois pour son histoire, que pour ses décors et l'attention portée à quelques scènes du quotidien, puis une scène brillante d'un érotisme pudique et en même temps terriblement efficace.

Deux vieux qui parlaient derrière. Qui criaient même. Comme on s'imagine deux vieilles personnes un peu sourdes, sauf que là c'était pendant la séance. Ça a commencé par "JANINE, CEST TOI? VIENS LA, YA UNE PLACE ICI". Puis "IL LUI EN OFFRE PAS? (en parlant d'une omelette)....AH, BON." J'étais juste devant eux mais je manque de courage pour leur dire de fermer leur gueule, au début la salle riait gentiment puis une personne leur a crié de se taire.
Fin de la séance, sûrement le même homme qui en passant leur dire "ce serait agréable que vous appreniez à vous taire au cinéma, vous êtes pas devant la télé ici". Les deux vieux, c'est comme s'ils n'entendaient pas, de brefs "oh mais qu'est-ce qu'il dit", c'est comme si on ne pouvait pas les changer de leurs habitudes, jamais jamais.

The Specials - Ghost Town

mardi 4 août 2009

En vrac-ances

Se dire que dans les rapports d'une élève avec son prof, ou de n'importe qui avec n'importe qui, mais toujours un rapport qui supposerait un demandant et un demandé, toujours se dire : il n'y a pas quelqu'un qui quête la présence de l'autre et l'autre qui daignerait accepter. Non, en toute occasion il n'y a que la rencontre de deux solitudes, de deux ego peu sûrs d'eux-mêmes et qui avec la rencontre ne peuvent que se fortifier. L'idée que je me fais de M. Franck n'est pas l'idée qu'il a de lui; cette idée le surprendrait, le terrifierait. Il se connaît, se côtoie tous les jours, conscient d'une progression; on ne fantasme pas sur le connu, on n'est pas timide devant soi-même. Quant à moi sa présence m'aura été donnée brutalement. Brutalement j'ai eu un homme bienveillant, élégant et cultivé devant moi.

Sur Salinger : "le monde n'est pas à la hauteur de sa moralité".

Pensée qui me vient en rentrant du travail. La littérature confère de la gravité à nos vies, c'est pour cela qu'on pourrait dire que d'un livre nous en ressortons enrichis; la gravité à de la valeur parce qu'elle est rattachée à la mort, et que tout ce qui va dans le sens de la mort va à l'essentiel. La littérature possède un lien évident avec la mort, toute bonne littérature est liée d'une façon ou d'une autre à la mort (j'ai l'impression). On aime toujours tragiquement un livre, et s'il ne fait que nous plaire c'est qu'il nous a plu en tant que bon divertissement. Vivre tragiquement sa vie, c'est la vivre comme dans les films ou comme dans les romans. C'est à dire, en chaque lieu prendre le détail pour l'évènement, être conscient du potentiel de chaque homme, regretter amèrement de ne pas être concrètement concerné par leurs vies, leurs problèmes et qu'ils ne soient pas concernés par les nôtres. Regretter de ne pouvoir leur dire qu'à défaut de pouvoir étancher notre curiosité on a tout imaginé d'eux et à quel point on est là pour eux. Il faut prendre le mot "tragique" non pas dans son acception de cours de français mais dans au sens figuré, c'est à dire "très triste". Tout ça n'est triste que parce que le temps nous est compté.

Monsieur Franck, lorsque nous parlions, je ne sais pas pourquoi mais il en est venu très tôt à me dire "on lit toujours contre", le bruit de la fontaine mêlé à la surprise d'une telle assertion ont fait que j'ai dû lui demander de répéter.
pardon?
On lit toujours contre quelque chose
on lit toujours contre...contre quoi?
je comprenais à demi-mot, ce n'était qu'une simple question de curiosité un peu à la façon de ses adultes ébahis devant des mômes et qui posent une série de questions de plus en plus naïves censées leur faire révéler malgré eux leur intelligence, le début d'un esprit critique, Jacques Martin en est un bon exemple.
Je ne sais pas, contre la bêtise, contre la vie
ce genre de phrases innocemment prononcées et qui nous en laissent deviner long sur la façon que cette personne en face de nous à d'envisager les grandes occupations de sa vie, je comprenais désormais pourquoi il lisait. C'est à dire que voilà, ce qui compte ce n'est pas tant qu'on lise mais les raisons qui nous poussent à lire, c'est pourquoi recenser le nombre de français qui lisent en plus d'être approximatif n'a absolument aucun sens, aucune utilité, ne rassure ni n'inquiète. Son avis devait forcément être plus vaste que ce simple "on lit contre" mais chacun faisait mine devant l'autre de s'étonner et de réfléchir pour la première fois à ces questions et l'on voulait voir où l'autre en était dans ces réflexions; c'était charmant.
Je me souviens avoir eu le regard songeur et amusé, et je lui ai rétorqué
contre la bêtise oui, mais contre la vie, je ne sais pas...vous ne pensez pas au contraire qu'on lit par amour pour la vie...parce que la réalité n'est pas à la hauteur de l'idée qu'on se fait de la vie et que justement la littérature l'est?
je devais sûrement être en train de mimer des niveaux avec mes phalanges aplaties, je trouvais mon propos extrêmement bateau, j'étais à gifler, mais j'avais réfléchi et semblais satisfaite parce que je le pensais et que je n'étais pas en train de poser, c'était une idée sincère et innocente par laquelle il est bon de commencer. J'avais aussi peur d'avoir opté pour des termes trop vagues et qui d'un point de vue philosophique ne voulais rien dire, je le voyais bien me rétorquer "qu'entendez-vous par vie/par réalité?", mais rien de cela, il regardait dans le vide d'un air concentré comme si ma phrase s'était soudainement recomposée devant ces yeux et qu'il en examinait la construction et l'intelligence,
oui c'est ça
tout en se repositionnant de façon plus confortable sur sa chaise. Ouf.

Je viens de finir La télévision de Jean-Philippe Toussaint que je classe dans les livres "sans conséquences" avec ceux d'Eric Chevillard, Jean-Paul Dubois ou de Marc Villard, c'est à dire qu'on sourit un peu, que c'est censé nous vider intelligemment la tête mais qu'un tracas subsiste car justement ce n'est pas tout à fait l'usage que j'aime faire de la littérature, alors ça finit par agacer, même si parfois le délassement fait effet, mais jamais vraiment aux moments escomptés par l'écrivain.
Je viens de commencer
Coma de Pierre Guyotat en Folio poche, le papier est semblable à celui de la série des Petit Nicolas, un papier subtilement glacé où les caractères se découpent de façon plus précise sur le papier du fait de la meilleure qualité, un papier odorant où il n'est pas nécessaire d'enfouir son nez au creux du livre pour le sentir, tourner les pages suffit pour cela. Certains chapitres sont entrecoupés de photos en noir et blanc (ce qui explique le papier) qui ont marqué l'enfance de l'écrivain, l'objet doit en lui-même lui faire plaisir. L'avantage des autobiographies c'est qu'on doit avoir le sentiment d'en avoir fini avec le passé, d'avoir objectiver des souvenirs par la maîtrise qu'offre toujours l'écriture. Je n'ai pas envie d'abîmer le livre, pas envie de fissurer d'un pli la couverture, les pages sont lourdes et peu souples, on ne peut pas l'ouvrir très largement. Je l'ai acheté par hasard, par désir de renouer des liens avec la littérature contemporaine. Pierre Guyotat, son nom traînait dans ma tête depuis un certain temps, lu par-ci par-là dans des magazines. Ca a toujours été comme ça que j'ai choisi mes lectures, par la curiosité que suscite chez moi un simple nom, son apparente austérité qui laisse deviner un monde intime, un cercle de lecteurs auquel je désire ne plus être exclue. C'est d'abord ça la curiosité : vouloir cesser d'être exclu.

Le travail est fini et j'emporte avec moi 577€, le chèque était posée sur ma chaise avec un post-it disant entre autres "merci pour tout", de quoi réconcilier tout le monde. En y repensant tout s'est divinement bien passée, il n'y a pas eu une seule gaffe de ma part, je ne suis jamais arrivée en retard (une fois, mais alors il n'était pas encore arrivé), j'étais silencieuse, un peu dissipée du fait de la fatigue et d'internet à portée de main. Ca lui arrivait de me donner des conseils de vie ("il faut tout vivre avec intelligence") ou de me parler littérature (il y avait
La route de McCarthy sous une pile de livres sur l'assurance, il était en train de lire Le voyage de Gulliver et projetait de lire Jules Verne et Céline pendant les vacances) ou des tableaux qu'il achète à une artiste de Nice. Cette dernière semaine, la fatigue augmentant, j'avais pris pour habitude de venir avec ma canette de Pepsi Max que je buvais silencieusement en pianotant sur mon clavier, ce dernier jour je ne l'ai pas vu de la journée alors j'en ai profité pour travailler en écoutant France Inter via internet. Ça arrivait qu'il vienne très tard au bureau et alors je passais la matinée à prendre les appels d'une voix suave au téléphone et à saisir les dossiers sur Excalibur quand ma conscience professionnelle me l'ordonnait, c'est à dire une heure après mon arrivée. Sinon, oui, je traînais sur internet car je m'étais rendue compte qu'il était impossible de procéder autrement, la tâche était lourde de répétitions, après cinq dossiers saisis je me sentais oppressée. De ce travail j'aurais quand même appris des choses : que Continent est l'ancien nom de Generali, à écrire Volkswagen, que l'on est obligé d'avoir une assurance pour sa voiture, à avoir moins peur au téléphone et surtout : que je ne désire pour rien au monde exercer un métier uniquement pour l'argent, ce qui doit être, ce qui est l'unique motivation de Charles, je n'en vois absolument aucune autre. Mais peut-être que, comme moteur pour travailler que comme raison d'être heureux sinon satisfait, cela suffit. Quant à moi, naïvement et parce que pour l'instant j'ai le luxe de ne pas avoir à faire de compromis, j'estime que le travail c'est encore et cela doit être de la vie, du plaisir.

Gagner de l'argent cela fait nécessairement affleurer de modestes envies de superflu dont on s'amuse à en faire la liste : des DVD, des livres, des fringues, des abonnements. C'est trop mignon.

Par désoeuvrement, repérage improvisé pour les fringues d'hiver avec Cécilia: pour elle se sera un trench beige, pour moi un long manteau d'homme en tweed gris, le beret me va bien (le prendre gris aussi), Cécilia cherche des trucs en bordeaux à cause des Rendez-vous de Paris, moi je cherche des chemises dans de belles matières (chemises d'homme couleur unie et chemises en laine et à carreaux chez Uniqlo) et toujours du bleu marine et maintenant du beige aussi, pour les chaussures on mise sur des ballerines chinoises en velours à 8€ la paire, avec de grosses chaussettes ça le fera. Si je pouvais je porterai des lunettes de soleil en hiver rien que pour le style. Elle veut un Hervé Chapelier, à condition que je ne porte plus le mien, ce qui ne me dérange pas puisque j'ai fait l'acquisition d'une large besace Lamarthe qui sent fort le cuir, pour l'instant j'en suis encore aux prémisses de notre amour: excitation, absence douloureuse, conscience de la chance que j'ai de la connaître et de l'avoir. Toutes mes affaires ont l'air rangé et aligné à l'intérieur, ça change des cabas informes, des sacs fourres-tout.
Après qu'une gitane m'est racontée ma vie, je rejoins Cécilia où nous allons tardivement déjeuner dans une trattoria rue des Ecoles devant laquelle à chaque fois que l'on passe devant pour se rendre au Grand Action je ne cesse de dire que je veux y aller, qu'elle est trop belle, trop émouvante; je fais souvent des caprices pour les restaurants et Cécilia m'aide à fixer le jour de la rencontre, me rappelle que je voulais y aller. Le restaurant est tout en longueur, bordé sur un côté d'une banquette bien gonflée et rose pâle accordée aux murs couverts de photos en noir et blanc d'acteurs italiens et qui fait face au bar. Le soir ils ouvrent la baie vitrée ce qui fait que seulement en passant devant on se prend en pleine figure une ambiance joyeuse, douce et modeste. A 14h30 il n'y avait presque personne sinon un bruit délavé de radio, le gérant nous a placé au hasard sous un portrait de Marcello Mastroianni que Cécilia adore. Je lui ai dit "retourne toi, tu vas pleurer", j'étais tellement contente pour elle. Nous avons tranquillement déjeuné de belles pizzas brillantes, colorées mais pas bourratives et la lunette des toilettes était auto-nettoyante; ça m'a fasciné. Je réfléchis à qui je pourrais amener dans un endroit si pur.

Jusqu'à aujourd'hui j'ai gardé l'enveloppe à bulles par laquelle m'est arrivé Les
Essais de Montaigne. Je fais souvent ça quand je reçois un colis qui m'importe : j'en garde jusqu'à l'enveloppe comme si elle faisait elle aussi partie de l'intention. Celle-ci je me suis résolue à la jeter puisque de toute façon elle ne provenait pas directement de M. Franck mais d'un vendeur affilié à Amazon.

Les voyages: les autres nous délaissent, les autres désertent, c'est déprimant. Les amis partent mais aussi les gens qu'on aime, qui ne le savent pas et sur qui l'on a aucun droit s'en vont (MF) et l'on n'a plus de nouvelles de personnes, n'importe qui peut mourir, l'idée est insupportable, on aimerait leur dire "faites attention quand vous traverser", "mettez vous de la crème solaire", "ne prenez pas l'avion" mais on ne peut que leur dire "bonnes vacances", mollement réjoui pour eux à l'idée qu'ils se reposent; on aimerait leur demander "qu'est-ce qu'il y a là-bas et qu'il n'y a pas ici?; moi je suis là, allons au cinéma". "je pars en vacances le..." est toujours énoncé sur un ton qui me déplaît fortement. J'ai toujours trouvé que le voyage et ses vertus étaient de toute façon trop surestimés, et après l'éloge du voyageur j'aimerais faire celui du casanier, qui aime rester chez lui, c'est à dire dans ses habitudes et qui opte pour un luxe encore plus grand que le voyage: celui de, délibérément, ne pas partir.

Devant le phénomène de désertion des uns et des autres il n'y a qu'une seule chose à faire: voyager soi-même. Alice m'emmène avec elle à Marseille et à Arles du 4 au 10 août. Initialement il s'agissait de faire les rencontres d'Arles et d'improviser autour (il a suffit qu'elle m'en parle pour que je remarque les affiches dans le métro), ce qui risque d'arriver. J'emporte avec moi quelques livres (Jauffret, Barthes, Faulkner) que je ne finirai/commencerai jamais mais que j'emporte uniquement pour me rassurer, des magazines (Tech, Philo), des vêtements dont le choix est assez représentatif de mes hésitations concernant le climat, j'imagine les nuits froides et les journées gavées d'un insupportable soleil. Pas d'ordinateur, pas de musique, pas de radio, mais une bouilloire de voyage trouvée chez Darty, mon fer à lisser et une lampe de lecture du futur que mon frère m'a rapportée du Futuroscope pour ne pas être gênée dans mes insomnies/pour ne pas gêner Alice dans son sommeil (au choix). Juliette nous rejoindra le 8 pour Arles. Jeunesse et liberté, en avons-nous conscience?

Donc voyager serait alors comprendre que l'on ne dépend pas de ses habitudes. Je suis une fille d'habitude, mais ce sont des habitudes de coeur, c'est à dire que j'ai choisi et que je répète avec bonheur.

Pour me donner des forces, moi qui suis en même temps que dépaysée, nostalgique (même pour 6 jours) de ce que je laisse derrière moi, j'ai commencé
Carnets du voyage en Chine de Roland Barthes qui, au lieu de vivre le grand vertige enrichissant du voyage, s'ennuie ferme et tient des carnets qui m'ont donné envie de faire pareil: mon dernier carnet à idées terminé (11ème), j'ai décidé d'en acheter un plus large et de me fatiguer à écrire cette fois de vraies phrases qui auront l'avantage de ne pas m'obliger à faire appel à ma mémoire pour comprendre ce que je voulais dire, tout y sera clairement écrit de façon compréhensible.
Il faudrait en toute occasion avoir sous la main un stock d'oeuvres littéraires adaptées à chaque situation.

J'ai pris l'habitude, grâce à Alice qui a procédé à mon baptême à la bibliothèque du Centre Pompidou, de m'y rendre religieusement pour y lire un ouvrage trouvé par hasard et qui s'intitule :
Le cinéma nous rend-il meilleurs? de Stanley Cavell. J'y lis aussi Fragments du discours amoureux de Roland Barthes, là aussi, idéal si l'idée vous prenait de tomber amoureux. Je pourrais très bien me procurer ces livres et les lire chez moi, mais cette idée de venir les consulter ici m'est bénéfique pour plusieurs choses : c'est gratuit, ça me fait une sortie, je vois du monde et je suis contente (il y a une bonne ambiance à la caféteria), je découvre plein d'autres livres, et comme dirait Alice, avec les autres tout autour on est obligé de travailler, on ne peut que travailler. Votre temps de vagabondage visuel est chronométré et quand il vous arrive de lever les yeux ce n'est que pour voir les autres travailler.

De jour en jour, je me rends compte des ressources infinies de Paris et de l'accessibilité de ses services sinon de leur gratuité (BPI, Salle des collections du Forum des Images en juillet, cinéma en plein air, les jardins et parcs). Je trouve ça très beau. Ce n'est pas tant mes activités que ce que je claque en nourriture qui me ruine, rester toute une journée
dehors demande de l'énergie.

J'ai fait mon Laissez-passer Centre Pompidou en quatre minutes montre en tête. Encore une étape dans la, comment appeler ça, l'"abonnementisation" de mon mode de vie. Je ne paye plus le cinéma, ni les transports -mes principales activités ): je montre des cartes. Je ne paye pas non plus mes magazines, j'y suis abonnée. Il me manque juste la carte pour payer dans les cafés mais apparemment le restaurant universitaire se paye avec la carte étudiant, hihi.

Beaucoup de pédants de merde à l'exposition Kandinsky, des gens qui font mine de parler à leur ami sur un ton de connaisseur à vomir et qui ont l'impression que parce qu'on ne bouge pas on est fasciné par ce qu'ils disent. Que faire? Partir de façon assez rapide pour leur faire comprendre qu'ils nous dégoûtent.

Je peux parler littérature et aussi cinéma, il y a quelque chose sur lequel on peut se mettre d'accord. Mais pour l'art pictural je préfère
faire mon truc car quand il n'y a pas pédanterie il y a alors incompétence; c'est sans fond tout ce qu'on ne sait pas et qu'on désire savoir, tout ce qu'on croit ne pas savoir et qui en fait ne demande pas de connaissances. C'est un truc qui se vit seul : chacun son rythme à une exposition, chacun son interprétation et peut-être alors atteindrons nous la sincérité de l'amateur qui apprécie les tableaux comme un enfant.

Kandinsky c'est ce que je voyais quand j'avais pour unique jeu en récré au CE1 de me frotter les yeux et d'observer les formes qui se dessinaient à l'intérieur de mes paupières: petits serpentins flottants, chromosomes, etc. C'était mon grand jeu jusqu'à ce qu'on me dise qu'à force je finirais aveugle, j'ai donc dû trouver autre chose.

Emile part au Liban, pas le temps de lui donner des conseils de survie moi qui passait mon temps à le sermonner à cause de son impolitesse, de ses conneries en général. J'ai improvisé un sigle qui lui permettra d'invoquer l'ensemble de mes règles de vie en un clin d'oeil : PSP pour Politesse Sécurité Propreté. Poli avec la famille, pas de conneries dans/autour de la piscine, tu te laves tout les jours après la piscine.

Ennio Morricone - Giù la testa, en boucle en boucle en boucle