dimanche 14 novembre 2010

"Il y aura toujours quelque chose de différent..."



"ainsi que l'assure Sir George Thomson :
"Il y aura toujours quelque chose de différent...Quand vous dites que vous répétez une expérience, vous répétez que sont pertinents tous les paramètres d'une expérience déterminée par une théorie. En d'autres mots, vous répétez l'expérience comme exemple de la théorie. [...] On pourra ensuite dire que les choses "continuent de la même manière" ou non, suivant ce qu'on considère comme étant la même manière. [...] L'uniformité de la nature dont nous nous émerveillons ou l'irrégularité à laquelle nous protestons font partie d'un monde que nous faisons nous-mêmes."
Manières de faire des mondes - Nelson Goodman

Maman fait le pont vendredi, il est 13 heures, elle boit son café en pyjama, elle semble ravie à l'idée d'être dans la cuisine à cette heure-ci un vendredi. Sur ses épaules un châle bouloché à larges rayures horizontales jaunes, oranges, marrons, elle a ses pantoufles et les jambes croisées : un de ses pieds ne touche pas le sol et la pantoufle est, par rapport à la plante du pied, en diagonal, dangereusement dans le vide au niveau du talon, elle n'est pas maquillée, c'est vraiment elle. Pour une fois j'apprécie que quelqu'un soit à la maison, j'apprécie de quitter la maison avec quelqu'un dedans. Elle me demande où je vais, je lui dis que je vais à la fac. Ca devient une habitude, cela va faire longtemps qu'ils n'ont pas eu une idée aussi éclatée de l'emploi du temps de leurs filles, avant un seul mouvement était possible: on allait ou on revenait de l'école. Nous sommes devenues insensiblement imprévisibles, rentrant tôt un samedi soir, rentrant tard un mercredi, tout a changé et tout le monde pense que c'est encore pareil, que nous sommes encore deux filles habitant chez nos parents pourtant nous sommes très grandes et nous pensons absolument autrement sur absolument tout. Je pourrais redoubler trois fois que personne ne remarquerait, on pourrait très bien vivre cette scène, maman et son café, moi qui part pour la fac, on peut le vivre encore combien de temps? Trente ans? On peut très bien vivre comme ça, et je pense qu'on le désire. Il faut parfois peut-être oeuvrer pour l'immobilisme, par crainte du changement, redoubler sans cesse, ou faire d'autres licences, il y a tellement à apprendre et nous sommes faits pour ça. Ce n'est pas que l'on tienne tant à finir ses études, mais les choses évoluent à un moment, insensiblement, on fait de son mieux, on a des notes convenables et puis on passe de la troisième à la L2 sans s'en rendre compte.
Mon rituel a commencé tard, et je prends le train vers 13heures avec les gens qui vont déjeuner, je suis sur un autre mode qu'eux, ma journée commence et j'aime ce décalage, l'impression de ne pas être concernée par leur fatigue entamée depuis déjà longtemps. Ma mère dans la cuisine, j'ai l'impression d'être partie d'un point à un autre du monde tout en conservant une sorte de fil affectif me reliant à elle, c'est toujours différent de quitter la maison vide ou encore pleine de la famille. Je me déplace relativement à elle, m'éloignant ou me rapprochant de ce noyau rassurant. Cela me fait penser au drame de la maternelle, les origines de notre sociabilité, c'était déchirant, on quitte un monde d'une tendresse idéale et qui ne pensait qu'à nous pour se mélanger à un monde en tout point étranger à soi et dont on a absolument rien choisi, je garde un vague souvenir de ce traumatisme.

Women - Eyesore

Aucun commentaire: