jeudi 14 août 2014

Pitié pour les jeunes filles : correspondance MH/MJ (1)

L'autre nuit j'essayais de dormir et j'en suis venue à penser à cette correspondance que j'avais pu avoir avec Michel Houellebecq au moment où je lisais ses romans. En la relisant je suis émue, non pas tant par les réponses finalement assez expéditives quoique bienveillantes de l'écrivain mais par le fait que je m'y retrouve moi-même dans les moindres détails et que ça me donne envie de pleurer sur moi. Sur la jeune fille très triste et narcissique que j'étais, innocente aussi, bien plus qu'aujourd'hui. J'avais la solitude de mon côté et elle excusera toutes les maladresses et les effusions qu'on trouvera dans ces lettres. J'étais beaucoup plus malheureuse que maintenant, parce que tout ce que je pouvais ressentir était rarement contenu, corrigé, étouffé par une présence amicale. J'avais la voie libre pour tout, mes tentacules se déployaient sans limites. Aujourd'hui je trouve que mes amis humilient mes dernières tentatives de désespoir, tendent un miroir à mes exagérations.

L'autre chose c'est finalement, on s'en rendra compte à l'issue de cette petite correspondance, ce qu'il y a quelque chose d'inconciliable, d'irréconciliable entre un écrivain et son admirateur: lui est tapi dans sa lucidité sexuelle, moi dans mon romantisme désintéressé de groupie - lui aussi, finalement, sexuellement surchargé. J'étais très amoureuse de lui, je délirais complètement, c'est aussi pour ça que ces lettres trouveront parfaitement leur place sur ce blog qui ne parle finalement que de ça depuis le début. On trouvera ce délire dans ce qu'il a de plus pur : un mélange de dévouement, d'hystérie et de peur du sexe.

Ca me fait penser aux Jeunes filles de Montherlant et au personnage ingrat de Stéphane : une jeune provinciale pauvre et laide qui écrit des lettres lucides et emportées à son écrivain préféré, lui réservant jusqu'à sa virginité. Elle le dégoûte et préfère batifoler avec des jeunes filles de bonne famille, Stéphane semble presque trop proche de lui pour qu'il puisse la toucher.
Ma correspondance avec MH est dénuée de toute cette perversité que contient le roman de Montherlant, celle-ci n'a pas eu le temps de s'installer. Houellebecq répondait parce qu'il était intéressé et gentil. Il ne répondait pas des choses beaucoup plus longues à BHL dans Ennemis Publics, ce qui me permet de croire qu'il me répondait vraiment. Mais ce n'était jamais assez suffisant compte tenu des mails que je lui écrivais.
En relisant tout ça j'ai envie de faire fusionner les titres de deux romans de Montherlant et de m'exclamer : Pitié pour les jeunes filles. Quelque soit la gravité de leur désespoir, il sera toujours charmant aux yeux des autres.

C'est sur une déception que se terminera toute cette histoire qui n'a jamais commencé. Je pense qu'elle est suffisamment vieille pour ne porter préjudice à personne. Comme mes lettres sont un peu longues je publierai le reste bientôt.


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De Murielle Joudet
à  Michel Houellebecq
le 04/09/2008
Cher Michel Houellebecq,
Je m'appelle Murielle Joudet, j'ai maintenant 17 ans et quelques années sont passées depuis les premiers mails que je vous avais adressés, j'ignore si cela vous évoque quelque chose et si votre adresse e-mail est encore valide, mais on verra bien.
La première fois que je vous avais écrit j'avais alors 13 ans et j'aimais autant qu'aujourd'hui vos livres pour les raisons que vous connaissez et que personne n'écrit comme vous, enfin je dis ça sans trop connaître ce qui se fait d'actuel en matière de littérature, peut-être que quelqu'un vous surpasse. Avec mes faibles moyens j'essaye de lire des choses actuelles, qui viennent de sortir, parfois j'achète des livres grand format, ça fait cher mais j'essaye, et puis ils sont agréables à tenir et à lire ces grands livres, je les lis au fond de mon lit, j'aime cette image de moi, elle m'apaise.
Je crois que je vous avais déjà parlé de mes écrivains préférés, ça devait se limiter à Salinger et Calaferte je crois, je ne connaissais pas grand chose à l'époque, encore aujourd'hui c'est très limité même si je passe la majorité de mon temps à lire, dans les transports, dans mon lit donc, au lycée pendant les récréations, dans les cafés parce c'est charmant. Je consacre beaucoup de temps à la lecture et autant à l'écriture, mais même là ça ne suffit pas, je veux dire par là qu'il y a encore beaucoup trop d'auteurs que j'aimerais découvrir, j'ai une liste dans mon portefeuille au cas où je me retrouve dans une Fnac sans savoir quoi prendre, et puis j'ai toujours cette envie de lire des auteurs dans leur intégralité, ça me fait donc beaucoup de travail mais c'est un travail réjouissant.
Donc j'essaye de lire des livres contemporains, par exemple j'aime bien Régis Jauffret, dans ma tête il est un peu comparable à vous, je le trouve très bien même si son univers est un peu limité, puis j'aime bien aussi Philip Roth, d'ailleurs en ce moment je lis "La tache", il y aussi Christine Angot que j'aime bien, peut-être que vous la détestez. Cette femme ne fournit pas un quart du travail que vous produisez, je veux dire par là qu'il n'y a aucun effort, qu'elle triche énormément et que c'est peut-être ça qu'on lui reproche, c'est qu'elle ne fout rien mais que ça marche quand même, que c'est lisible et même plaisant, il y a tellement de bruit autour d'elle et de ses livres, c'est incroyable. Dans 50 ans on diffusera des interviews télévisés d'elle et de vous, vos têtes paraîtront désuètes, presque kitsch, on rigolera bien.
J'ai aussi essayé Gabriel Matzneff, "Comme le feu mêlé d'aromates", j'ai beaucoup aimé même si je pense ne jamais plus rien lire de lui, pour moi ce type est un vrai connard pour tout ce qu'il représente, son égocentrisme et sa pédophilie assumés, son statut de dilettante qui le fait tant bander, je déteste par dessus tout les écrivains heureux, épanouis et libérés de toute obligation, quelque part ça fait mal et on ne demande pas à lire des choses complexantes, on demande à lire un malaise je pense.

Ce qui me pousse a vous écrire c'est que je vous ai vu dernièrement dans ma boîte aux lettres sur la couverture du Technikart et cela m'a énormément enthousiasmé, j'étais tellement contente qu'on reparle enfin de vous, j'adore quand vous avez une "actualité", parce qu'en dehors de ces jours je ne peux pas prendre de vos nouvelles et j'aime bien en avoir. Je saute sur votre actualité, je suis tellement intéressée par tout ce que vous produisez, je ne rigole pas du tout avec ça, quand je vous vois à la télé c'est un moment important je me tais, je hausse le son, je reste émue longtemps après votre intervention, comme au moment des César, votre venue, c'était inespéré et rafraîchissant, vous aviez l'air de tous les dominer, et je dis ça sans me mettre une seule seconde de votre côté, vous étiez bien le seul à tous les dominer.

En 3ème je pense que j'étais amoureuse de vous, je faisais des rêves doucement érotiques, à l'époque (je ne sais pas si vous vous en souvenez mais ça n'a finalement que peu d'importance) je faisais un exposé sur vous qui m'avait valu un 18/20, la professeur m'avait accordé le privilège exclusif de faire un exposé sur l'écrivain de mon choix, j'hésitais entre Salinger et Houellebecq puis j'ai voulu impressionner, avoir de l'audace, il y a eu des échos jusqu'en salle des profs et par la suite j'ai même eu droit à une interview dans le journal de l'école avec une photo de mon panneau d'exposé qui était vraiment beau. Il trônait au fond de la classe, sur le mur, à côté de mon exposé des Doors, chaque jour en rentrant j'en étais profondément fière, dans la cour mes camarades disaient de vous que vous étiez un "obsédé", peut-être avais je lu des passages qui leurs avaient fait penser ça. Je me souviens juste avoir lu un passage qui contenait le mot "masturbation", dans Plateforme je crois, je me souviens du bleu de la couverture, personne n'avait rigolé, la prof n'avait rien dit et le silence c'était juste un peu plus creusé, c'était le moment de la liberté, je sentais les esprits s'ouvrir devant moi. Donc en 3ème j'étais terriblement seule et obsédée par vous, aujourd'hui encore je suis seule les 3/4 du temps, je viens d'ailleurs de passer 3 mois de solitude presque totale pendant ces vacances, je n'ai pas trop souffert, j'allais au cinéma, je me promenais, je regardais les hommes et je lisais, les matinées étaient belles, les soirées douces, je n'ai pas été blessée par mon isolement et je suis partie 20 jours au Liban car mes parents sont libanais, j'ai un peu nagé, je suis revenue ce dimanche, j'ai encore eu la crainte qu'il arrive quelque chose à mon avion, j'ai toujours un peu peur mais cette peur est nouvelle et nourrie par les JT.

Je pense avoir conservé une bonne partie de cette adoration juvénile, disons qu'il suffit que vous ressurgissiez dans les médias pour que je retrouve le goût âcre de l'amour que je porte et que j'ai pour vous et de vous en parler ça m'aide énormément. Quand vous dites dans l'interview que vous êtes détesté par énormément de gens j'ai eu du mal à y croire, dans ma tête j'avais plutôt l'impression que tout le monde avait plutôt envie de se jeter à vos pieds pour demander pardon, que vous étiez quelque chose de sacré en littérature, qu'on pouvait pinailler sur bon nombres d'écrivains mais que pour vous il n'était plus question de critiquer vos livres ou de vous décerner un prix, que vous aviez déjà tout et que vous le saviez et qu'à partir de là on vous laissait tranquille.
J'ai été un peu naïve je pense, j'aurai dû me douter que votre talent devait suscitez les jalousies les plus aiguisées, parce que je n'ai aucun pied dans le monde littéraire, en littérature il n'y a que les livres qui sont importants, à partir de là je peux exercer ma passion de là où je suis, de ma petite ville, Courbevoie, et ne rien demander à personne, ne rien savoir de ce qu'il se passe à Paris, dans tous ces cercles vides et compliqués.

Il y a votre film qui sort bientôt, j'ai vu l'affiche sur un kiosque à journaux pendant que je finissais ma cigarette pour pouvoir prendre le métro, je l'ai même prise en photo et je vois l'envoie avec cet e-mail. Je ne fume pas depuis longtemps, parfois je fume et je laisse passer des années parce que je ne connais pas bien les marques et que je crains qu'on ne me demande mon âge pour savoir si je suis majeure et des choses comme ça, enfin ça c'était avant, maintenant je n'ai plus peur et il ne s'agit que d'une question d'argent, disons qu'avec l'argent je serai en train de lire tout plein de gros livres et de fumer comme un pompier, ah ah.
Personne ne sait que je fume, je fume uniquement dans ma chambre très tard, toujours après 23h, au bord de la fenêtre, ou alors quand l'appartement est vide, ou bien dehors quand je me promène. Aujourd'hui j'ai failli être démasquée parce que j'ai fumé devant un ami de mon frère qui m'a plus ou moins dénoncé mais j'ai réussi à sortir un gros mensonge. A mon âge fumer n'est plus si grave aux yeux des parents qu'à 13 ans, à 13 ans on passait pour quelqu'un qui transgressait quelque chose, c'était vraiment grave. Si ma mère l'apprend je pense que je sortirai quelque chose sur ma liberté et les droits que j'ai sur mes poumons, des bêtises convaincantes. Une amie à moi fume assez régulièrement mais je ne lui ai rien dit et je garde avec elle mon statut de non-fumeuse, je suis quelqu'un d'assez sage aux yeux de tout le monde, une sorte d'ermite qui passe son temps à faire des choses dans sa chambre et qui n'a pas encore succomber aux tentations des premiers verres de vodka et des cigarettes et qui a pour seul vice de n'être attirée que par les hommes de plus 25 ans. Je lui ai d'ailleurs apporter du Liban quelques paquets achetés à moindre coût, moins d'un euro, c'est comme ça que j'ai pu m'en procurer un, je dois les lui donner demain et je regrette déjà de lui avoir parler de ces paquets, j'aurai finalement voulu les garder pour moi, je ne savais pas que je comptais devenir vraiment une fumeuse, que ça allait devenir un plaisir aussi important. Je ne sais pas ce qui séduit dans la cigarette, cette question me tracasse énormément et à chaque fois que je rencontre un fumeur je ne peux m'empêcher de lui poser des questions pour éclaircir la situation, voir s'il fume pour les mêmes raisons que moi. Moi je fume principalement pour la gestuelle, à partir du moment où vous sortez le paquet de votre poche jusqu'à celui où vous l'écrasez par terre : tout est beau dans le fait de fumer une cigarette, absolument tout, cela ajoute énormément à votre charme personnelle, c'est presque miraculeux, et puis il y a ce jeu avec la fumée qui est très intéressant. Voilà pour la cigarette.

J'ai essayé de chercher sur internet s'il était question d'une grande avant-première pour votre film, s'il y avait moyen de vous apercevoir, de vous voir de plus près, il y avait celle de Locarno j'imagine, et je crois que c'est tout. Dans tous les cas je suis extrêmement impatiente de voir ça, j'ai revu il y a quelques jours "Extension du domaine de la lutte", je devais être un peu jeune la première fois que je l'ai vu parce que là il m'a énormément impressionnée, cette perfection du début jusqu'à la fin, ce joli sans faute, c'était incroyable. Philippe Harel est sûrement votre alter ego cinématographique, j'ai vu quelques uns de ces films, ce n'est pas si sombre que votre petit univers, ce que vous avez réussi à planter dans la tête de vos lecteurs, c'est même très gai, très populaire aussi, mais rien que physiquement, je veux dire, la ressemblance est belle et évidente.

Je pense avoir beaucoup de choses à vous dire, et je vous écris dans la joie, je suis très heureuse ce soir, tout autour de moi semble neuf et effervescent, l'effet de la rentrée peut-être. En fait je me trouve en plein dans la journée vide qui se trouve entre le jour de pré-rentrée et la vraie rentrée du lycée, je suis en terminale littéraire, j'ai retrouvé mes quelques amies et mes plaisirs, mon emploi du temps est plutôt bien élaboré et j'ai pour professeur d'histoire géo un homme pour qui j'ai un faible depuis un certain temps sans le connaître. Demain je commence à 8 heures, j'aurai 2 heures de philosophie, mes vraies premières heures, celles que je fantasmais déjà en 4ème, deux points du temps qui paraissent si proches, qui se frôlent presque. Je voulais vous parler de votre admiration que je partage pour Neil Young, que j'écoute un peu par hasard en ce moment d'ailleurs, je voulais vous parler de La Possibilite d'une île, le livre, je l'ai lu il y a un an et je voulais vous écrire le jour où je l'ai fini mais je m'étais dégonflée et maintenant il est trop tard pour m'en souvenir précisément mais sachez que j'ai pour projet de relire toute votre oeuvre et d'ouvrir quelque chose, un site, un blog, quelque chose de modeste, et d'en parler, je ne sais pas encore comment, de quelle façon, je suis très mauvaise commentatrice, je n'en sortirai rien de nouveau, ça restera finalement très personnel je pense et ce sera surtout pour faire le point sur ce que j'aime chez vous et pour me sortir de ma petite paresse en me consacrant à quelque chose.
Je voulais aussi vous parler des couvertures de vos livres, vous demandez ce que vous en pensiez et vous dire que je vous trouve très joli sur ces photos dans le Technikart, vos cheveux ont poussés et vous portez des vêtements chauds, j'ai d'ailleurs presque exactement la même veste que vous, ça fait longtemps que je ne l'ai pas mise et je l'ai ressortie aujourd'hui pour voir un peu le degré de ressemblance. Quelque chose de riche et de rassurant se dégage de votre allure, votre chien Clément orange et blanc y est aussi pour quelque chose, vous êtes un très bel écrivain et c'est en tapant cette phrase que je sens mes forces s'épuiser, j'ai encore envie de vous écrire mais j'ignore où vous vous trouvez et si vous avez vraiment le temps et l'envie pour dans un premier temps me lire encore et dans un deuxième, me répondre. Je sais bien que mon admiration démesurée pour vous ne nous met pas tout à fait à la même hauteur mais j'ai le souvenir de vos précédents mails qui avaient tout de suite dépasser le stade de la simple politesse pour tout de suite entamer quelque chose de l'ordre de la discussion et cela m'avait énormément plu.
En tout cas, je vous embrasse et puis si vous voulez, enfin je pense que je vous écrirai pour vous parler de votre film et pardonnez moi pour mes fautes de conjugaisons et d'orthographe, j'ai une faille dans mon système qui fait que j'ai encore du mal avec les participes passés, ça fait que l'écriture perd un peu de son charme. Je ne trouve pas ce mail convaincant mais voilà deux heures que j'y travaille sans trop me relire alors je vais quand même me résoudre à cliquer sur "Envoyer" parce que c'est rare quand j'ai comme ça l'envie et la force d'écrire aussi longtemps, ça ne reviendra que dans longtemps.

Je vous embrasse et passez de bonnes journées, je pense à vous.


De MH 

à moi
le 06/09/2008

Murielle,

Oui, je me souviens très bien, vous m'aviez envoyé une photo de votre panneau d'exposé ; je l'avais téléchargée, elle doit être encore, quelque part, sur mon ordinateur.
Quatre ans, à mon âge, ça ne représente pas beaucoup de modifications ; mais à votre âge, c'est énorme. Entre 13 et 17 ans, je peux dire que j'ai découvert la littérature ; j'ai appris à connaître la plupart des grands auteurs que j'admire encore, et qui sont mes modèles indépassables.
Alors, que vous m'aimiez encore, après ces quatre ans, je trouve que cela a une certaine signification.

Le mieux serait qu'on se rencontre, je pourrais certainement vous donner des conseils de lecture utiles, ça oui, je peux faire. Et peut-être est-ce que vous serez surprise par mes conseils. De même, vous serez peut-être surprise par le film. Il n'y a pas de sexe du tout. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse plus, c'est que le sujet n'est pas facile. En littérature, je me sentais un peu armé pour l'aborder ; en cinéma, pas encore.

Depuis des années je viens très peu en France, je ne reste que quelques jours et je n'ai même pas le temps de voir des amis, alors sûrement pas des personnes inconnues. Mais j'ai décidé que j'allais changer, je vais venir plus souvent, et plus longtemps.
C'est vrai que je suis détesté par les medias, horriblement, mais c'est mon pays, tout de même.
Aussi c'est un pays où on n'a plus le droit de fumer, ce qui n'a l'air de rien, mais me dérange beaucoup ; je ne peux plus aller dans un restaurant, dans un café ; il faut que je rencontre les gens chez eux, ou dans une chambre d'hôtel.

Bon, enfin, on verra. Le premier de mes futurs séjours à Paris sera certainement début octobre.

Je vous embrasse,
Michel Houellebecq.


De moi
à MH
le 07/09/2008




Cher Michel,

votre proposition était inespérée et je ne sais pas quoi vous répondre, je n'aime pas succomber à l'enthousiasme bête et méchant, il ne mène à rien sinon à des déceptions et je sais que la vie n'a rien d'un parc d'attraction, que tout s'explique et se mérite, mais là il était alors prévisible et incontournable que la possibilité d'une rencontre avec vous me bouleverse entièrement. J'ai marche tout le long de mon appartement, j'étais alors seule et j'inspirais et expirais profondément, comme on vous l'apprend un peu partout dans votre enfance, pour certains précepteurs cette technique serait le remède à beaucoup de choses : anxiété, courbatures, peur, angoisse, trac, stress, oui c'est magique.
Peut-être qu'en me proposant cette rencontre vous ne vous engagez à prendre aucun risque, vous n'êtes plus à une rencontre près avec l'inconnu alors que moi je les appréhende et les compte sur le bout de mes doigts, vous êtes un très bon orateur qui n'a aucun complexe à prendre le temps de choisir ses mots, vous êtes posé et sachez de quoi tout ça en retourne : la discussion, les interviews, l'admiration que vous suscitez. Vous ne prenez aucun risque, en vérité je suis innofensive, anonyme et vulnérable, vous ne craignez rien, alors que j'ai comme l'impression qu'il s'agit pour ma part d'une histoire de vie ou de mort, d'éternelle victoire ou d'éternelle défaite qui tatouera longtemps mon existence et ce que je compte en faire, c'est à dire, en fait, être écrivain. Si je vous ennuie et c'est ce qu'il risque d'arriver je ne pense pas que je le supporterais mais je ne me connais bien et en échange de rien je ne passerai à côté de ce genre d'opportunité rare pour ne pas dire unique.
Je vous le dis, faites comme vous le sentez, je vous suivrai, si vous me donnez un rendez-vous je tâcherai d'y être, je sècherai des cours s'il le faut, ça ce n'est qu'un détail et je me tiendrai prête devant vous et on parlera et je ferai en sorte d'arriver calme et de le rester. Je vais travailler un peu sur ça.

C'est très rigolo parce que les façades des kiosques sont partagées entre l'affiche de votre film et la couverture du nouveau Technikart, vous êtes omniprésent, j'ai remarqué ça tout à l'heure en marchant dans la rue avec un ami près de moi, bien sûr les façades ne sont pas toutes pleine de votre actualité mais c'est rare ça, deux fois la même personne, à part peut-être pour Nicolas Sarkozy.

Quoi que vous décidiez et même si mon opinion importe peu je vous écrirai pour vous parler de votre film, ça c'est certain.

Je vous embrasse.

De moi
à MH
le 11/09/2008






Cher Michel,

Ce soir en rentrant du cinéma je pensais sérieusement ne pas trouver les forces pour vous écrire, en semaine je dors très peu et je n'ai de l'énergie et du temps pour rien d'autre que pour ce qu'on me demande de faire : assurer ma présence en cours, les transports en commun, les devoirs, les discussions, peu de distractions même si j'arrive toujours à trouver du temps pour lire des bouquins et des magazines, acheter des CD et aller au cinéma, j'ai une carte illimitée, c'est très pratique quand on a pas de budget cinéma. Sans cette carte je ne pense pas que j'irai au cinéma, avant je n'y allais jamais.

 J'ai toujours eu des problèmes de décalage et d'insomnie, les jours où j'ai été en forme au lycée se comptent sur les doigts d'une main, je n'ai pour ainsi dire, pas d'hygiène de vie. C'est terrible mais cette année de terminale me demande énormément de travail, je suis une très mauvaise élève qui a toujours réussi à passer au niveau supérieur grâce aux jugements favorables des professeurs, jamais grâce aux notes. Depuis le lycée, depuis que j'ai la possibilité d'être autonome, j'ai aussi des problèmes d'absence et je n'ai aussi jamais consacré la moindre minute de mon temps libre au travail personnel en dehors des veilles de contrôle. Je ne suis pas en train de vous vanter les mérites d'une scolarité désastreuse, mais je vous raconte simplement des choses pour vous préciser mon image dans votre tête.
 Cette année c'est différent et chaque jour depuis maintenant une semaine, en rentrant je m'installe à mon bureau et je travaille un peu avec de la musique pour tromper l'ennui. Je n'ai plus le temps d'écrire, ni sur mon blog ni à personne d'autres et les idées s'entassent dans ma tête et dans mon carnet sans que j'arrive à pouvoir trouver le moment de toutes les évacuer dans un texte.
J'aimerais bien pouvoir être plus performante, faire de chaque journée quelque chose d'utile et d'agréable comme on dit, en plus de ça la fatigue me rend malheureuse et pessimiste.
Bref, là j'étais partie pour dormir mais en fait il me reste de l'énergie et ma priorité était ce mail. Je voulais aussi passer l'aspirateur dans ma chambre mais il est trop tard, la France approche des 22 heures.

J'ai vu votre film, j'y suis allée à 15h50 au UGC Ciné Cité de La Défense, la programmation est souvent assez nase là-bas, malgré ses 16 salles il y a rarement la place pour des petits films. Avant de m'y rendre j'ai acheté un café pour être un peu plus réveillée, je voulais être "au top", bon il était dégueulasse. mais au moins j'étais en forme même si un goût fortement amer persistait sur mes lèvres et dans ma bouche.
Nous étions huit personnes dans la salle, pendant le film une personne est partie assez tôt, je pense qu'elle était venue un peu par hasard, c'est la seule explication, ça se voyait dans la façon qu'il avait de rentrer dans la salle. Et puis un couple est parti aussi, mais vers la fin, parfois ils parlaient entre eux à haute voix, c'était insupportable.
J'ai pris des notes pendant le film, je fais souvent ça, j'ai un petit carnet sur mes genoux et un stylo accroché à mon portable et je tente de gribouiller dans le noir, c'est un peu dur mais essentiel pour ne pas oublier les idées directrices et puis là surtout, je m'étais fixée le devoir de vous faire part de mon avis, je prenais ça très au sérieux.

Je n'ai pas été surprise par le film, c'était identique à l'idée que je m'en faisais. J'avais peur qu'en n'aimant pas le film je vous trahisse, on peut aussi poser le problème à l'envers, c'est vous qui trahissez le public en le décevant, j'ai dit à quelqu'un sur internet qu'il n'étais pas forcément mauvais mais inaccessible à toute personne extérieure à Michel Houellebecq. Je ne sais pas si vous trouvez ça vrai, je disais ça surtout pour le faire rire, pour la beauté de la formule.
Je pense qu'il aurait été plus simple pour vous d'atteindre le succès avec un film se rapprochant de celui de Philippe Harel, avec une musique guillerette, beaucoup d'ironie, des supermarchés et un pessimisme tellement ancré qu'il en devient drôle. Il y a aussi ça dans vos livres, c'est le côté le plus accessible de votre oeuvre, c'est aussi celui qui ne figure pas dans le livre "La Possibilité d'une île", enfin moins que dans les autres. "La Possibilité" est une sorte de retour à l'essentiel, quelque chose de très dépouillé et de minéral, à l'image du film. Il m'a fait un peu penser au Sacrifice d'Andréi Tarkovski, là par contre je ne contrôle pas du tout les références qui me viennent à l'esprit, donc peut-être ai-je tort d'y trouver des ressemblances. je ne connais pas grand chose au cinéma même si je m'y intéresse très sérieusement, donc mes références sont souvent erronées ou approximatives.
Je crois qu'une personne qui n'a pas lu le livre ne peut pas trop comprendre le film, disons que tout est très bien expliqué dans le film mais que certaines scènes demandent à être complétées par quelques réminiscences qui ne figurent que dans le livre. Les deux oeuvres se superposent, et c'est ce qui en ressort qui est important.

C'est vrai que parfois on s'ennuie un peu, enfin je veux dire, le contemplatif dans les films, ou même, le lent tout simplement, les gens n'aiment pas ça, au cinéma le public est comme chez Guignol, il demande de l'action, il demande d'ailleurs beaucoup de choses, il est très exigeant, le cinéma coûte cher, le pop-corn aussi. Disons que je ne me suis pas dit "là je m'ennuie", mais je remarquais qu'à certains passages je pensais à tout autre chose, c'est mauvais signe.
 Je prends le risque d'être sincère avec vous parce que je sais que mes paroles sont peu de choses et que sans forcément lire la presse j'ai pu voir que personne n'a été tendre avec vous. D'ailleurs les journalistes sont en général assez dégueulasses, toujours à l'affût de la phrase la plus cruelle, fier de leurs formules "La possibilité d'un bide" et je ne sais quoi encore, des têtes à claques.
Ce serait drôle si à la sortie du film en DVD vous mettiez une compilation des plus mauvaises critiques au dos du boîtier, ah ah, le jour où quelqu'un fera ça je pense que je me débrouillerai pour lui rester fidèle. Bien sûr, ça n'existera jamais.
Je pense que vous auriez dû insister au début du film sur le monologue interne, cela aurait été une force de plus, une force qui plaît à tout le monde, et puis la musique est assez flippante, démoniaque, pas du tout second degré. Sinon Benoît Magimel est quand même assez beau, j'ai déjà eu un faible pour lui, dans "La Pianiste" par exemple, sa force à lui c'est bien entendu sa voix, on dirait presque un doublage. Il doit être gentil, et intelligent aussi, vous trouvez qu'il vous ressemble? En Daniel25 il y a des ressemblances.

Pour finir j'aimerais vous dire que j'ai le sentiment que votre film n'en est pas un, c'est une sensation un peu bizarre et assez rare qu'on éprouve devant des oeuvres aussi décousues que la vôtre et j'ajouterai qu'on a l'impression que sur toute la ligne vous avez agi seul, que de ce film il n'en reste que votre nom, votre volonté, votre approbation. "Michel Houellebecq Ltd.", dans le générique du début, ça m'a fait sourire.
La scène du concours de bikini est très réussie, il y a des scènes comme ça, surtout au début du film, qui paraissent lourdes, pesantes, naissants dans le malaise et la torpeur, c'est à la fois très caustique est profondément sérieux, entre le rire et le sourcil froncé. La scène du concours de bikini donc, celle aussi où Ramata Koite (je l'aime bien elle aussi) grimpe jusqu'à la mer, c'est très beau ces vêtements noirs et simples sur sa peau noir.

 J'ai certainement encore des choses à dire sur le film, je sens que ça viendra avec le temps, parfois ça peut mettre une semaine avant que je commence à trouver des choses à dire, à prêter des intentions aux films. Quelque chose se développe en moi, c'est un travail de réflexions hâchées, se passant aussi bien dans les transports en commun comme au moment de trouver le sommeil ou pendant un cours particulièrement ennuyeux.
J'aimerais bien savoir ce que vous pensez sincèrement de votre film, s'il correspond précisement à l'idée que vous vous faisiez de lui avant de le tourner, si à la base vous aimez le livre, si vous aimez la musique, si vous comprenez les critiques, si vous vous en foutez, si vous le trouvez raté ou que cette impression d'ovni cinématographique est un parti pris. Peut-être ressentez-vous de la sympathie pour lui et que de l'autre côté il vous semble qu'il est temps que ce film mène sa propre vie, qu'il devienne autonome. D'ailleurs c'est vrai, maintenant, plus rien ne vous appartient vraiment.
Répondez à ce qui vous convient, je ne veux pas vous fatiguer, et puis vous avez eu votre dose de questions, de conversations, il faut passer à autre chose.

Je vous écrirai dans quelques jours, peut-être demain parce que j'ai quelques trucs à propos de discussions vous concernant que j'ai pu avoir avec des amis, et d'autres petites choses qui vous plairont peut-être.
N'hésitez pas à me dire si cette fréquence d'écriture que je me permet et qu'on peut considérer comme une familiarité, vous gêne. Peut-être n'avez vous pas le temps de me lire et de m'écrire, j'essaye d'imaginer l'environnement dans lequel vous vivez en ce moment, s'il est propice à l'écriture et à la lecture de mail, j'espère que oui, j'espère que je tombe bien. Je suis un peu malade en ce moment alors je n'ai pas voulu vous envoyer le soir même ce mail qui a été rédigé mercredi soir, je voulais me laisser le temps de la relecture, surtout que je me relis souvent trop tard et que j'aperçois par ci par là de graves fautes de conjugaison qui aurait pu être évitées, ça me gêne parce que vous n'êtes pas un correspondant ordinaire et que j'ai le souci de faire bonne impression. Là nous sommes jeudi, 17h50, je vais dormir un peu et je vous embrasse.

PS : Je vous ai vu au début du film, ça m'a fait plaisir, c'est un très beau clin d'oeil, plein de charme.


De MH
à moi

le 12/09/2008



Murielle,

Compte tenu de la haine qui m'entoure, vous comprendrez, je pense, que je sois atteint d'une légère paranoïa.

Pour le dire en bref : je ne souhaite pas que vous parliez dans un forum Internet quelconque (TechnikArt ou autres) de nos relations (même si celles-ci demeurent aussi chastes et virtuelles qu'elles le sont en ce moment). Dès que la moindre chose transparaîtra, ce sera tout de suite "Houellebecq profitant de ses groupies adolescentes", enfin je connais le style, et je commence à fatiguer. Et j'ai envie et besoin, maintenant, d'avoir une vraie vie privée.
C'est triste, ma situation, tout de même: j'adore le sexe, c'est vrai, mes livres en témoignent ; mais je ne peux plus me le permettre.

Je vous embrasse quand même, mais chastement.
Michel.

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